L'appel du 1er Novembre fut le détonateur d'une révolte portée par tout un peuple. Une fois n'est pas coutume, l'Unique - qui nous avait habitués à des programmes soporifiques- nous a raconté la Révolution. J'ai eu de ce fait l'opportunité de revoir quelques films sur la Révolution dont le fameux L'opium et le bâton tiré du roman du regretté Mouloud Mammeri et interprété magistralement par une pléiade et non des moindres. Rouiched, Mustapha Kateb, Sid Ali Kouiret et tant d'autres. Le sujet en lui-même parle d'acteurs? du dévouement jusqu'à la mort des milliers de Ali, qui ont redonné, par leur sacrifice suprême, une dignité que la France avait piétinée pendant 132 ans. Tous les moyens ont été utilisés pour faire plier, en vain, la Révolution. Il m'a été donné aussi d'écouter une émission sur les débuts de la RTA. J'avais la chair de poule en entendant Abderahmane Laghouati nous expliquer avec des mots simples comment l'Algérie s'est réappropriée sa voix le 28 novembre 1962, à la veille du premier novembre qui ne pouvait pas, qui ne devait pas, selon Monsieur Abderahmane Laghouati être gérée par des fonctionnaires français. Ce fut un moment à la fois pénible que de savoir qu'une bonne partie des 26 pionniers qui ont fait la RTA, ont disparu. Ce fut aussi un instant d'émotion quand on apprendra comment les Algériens d'alors tout entier dévoués à la Révolution, ne se posaient pas la question de leur devenir et celle du pouvoir, il fallait réussir le pari impossible celui de réussir la transition d'une télevision, reliquat du colonialisme, à celle d'une télévision d'un pays libre. J'ai découvert à cet effet un pionnier en la personne de Aïssa Messaoudi qui a marqué de son empreinte toute la génération des années 60-70. Les héros étaient des gens simples qui ont fait leur devoir, sans rien attendre en échange et surtout qui n'ont pas fait des mannes de cette révolution, encore un fonds de commerce au nom d'une «famille révolutionnaire» excluant de ce fait, les autres, les Algériens. A bien des égards, en considération du combat titanesque de ces pionniers qui ont fait démarrer l'Algérie à l'Indépendance, nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Le Mach'al à transmettre A l'Indépendance, nous étions tout feu tout flamme et nous tirions notre légitimité internationale de l'aura de la glorieuse Révolution de Novembre. La flamme de la Révolution s'est refroidie en rites sans conviction pour donner l'illusion de la continuité. Comment peut -on parler de révolution et du «Mach'al» du Premier novembre à transmettre aux jeunes si ces jeunes sont tenus soigneusement à l'écart du mouvement de la nation? Il est curieux de constater que la Révolution a été portée à bout de bras par des jeunes pour la plupart et qui ne dépassaient pas la trentaine! Que doit-on passer d'une famille révolutionnaire qui a pris en otage l'espérance d'un pays et ne veut pas la lâcher au point d'adouber des personnes qui n'apportent aucune valeur ajoutée? Est-il normal que dans l'Algérie de 2008, des «mal-élus» se votent des salaires 20 à 30 fois plus importants que ceux d'universitaires (Bac+ 5 et +) à qui on donne des miettes pour les occuper? Est-il normal que des jeunes (filles et garçons) décident un jour de s'évader du pays en risquant leur vie pour une vie meilleure, ayant définitivement conclu qu'ils n'ont pas leur place en Algérie? Pour ne pas changer, la «famille révolutionnaire» fera des cérémonies où nous verrons toujours les mêmes dans un rituel morne, sans épaisseur. Ensuite chacun continuera à vaquer à ce qu'il sait faire jusqu'au prochain événement où il se montrera devant les caméras de l'Unique qui n'a pas, loin s'en faut, épousé son temps engluée dans des combats d'arrière-garde visant à imposer une «accabya mythique» au sens d'Ibn Khaldoun, moyen-orientale et qui n'est pas celle du génie propre des Algériens. L'Algérie de 2008, qu'est-ce que c'est? Un pays qui se cherche? qui n'a pas divorcé avec ses démons du régionalisme? du népotisme? qui peine à se déployer? qui prend du retard? qui vit sur une rente immorale car elle n' est pas celle de l'effort, de la sueur de la créativité. C'est tout cela en même temps! Le pays s'enfonce inexorablement dans une espèce de farniente trompeur, il est vrai que l'on promet au peuple qu'il n'a rien à craindre, qu'il y a de l'argent pour quatre ans, qu'il peut continuer à dormir. Après ce sera le chaos, la rente n'étant plus au rendez-vous. Le ministère des Affaires sociales sera au chômage, il n'y aura plus rien à distribuer. La Révolution a été galvaudée, les seuls à y trouver leur compte émargent à un département ministériel qui dépense plus que l'enseignement supérieur ou plusieurs ministères réunis. Scandale suprême- on ne doit pas cesser d'en parler parce qu'avec un hold-up pareil, c'est l'avenir de l'Algérie qui en prend un coup-, les élus ont refusé une augmentation de la bourse pour les étudiants... Savons-nous qu'un député de base à 300.000 DA a un salaire égal à celui de 400 étudiants ou encore, le salaire des 500 députés équivaut à 200.000 étudiants, c'est la moitié du nombre d'étudiants ouvrant droit à la bourse! C'est immoral! Un comble: on leur refuse une augmentation dérisoire. Le Parti des travailleurs a raison de proposer- sur le tard et sans donner l'exemple- la dissolution de l'Assemblée. Le sociologue Lahouari Addi écrit: Cette Révolution de Novembre n'intéresse pas la jeunesse de 2008 parque qu'elle est devenue un fonds de commerce pour tous ceux qui y trouvent leur compte, notamment «la famille révolutionnaire» dont il faudra bien, un jour, que l'on nous explique la composition, la clé de cooptation et sa réelle «valeur ajoutée». La période 54-62 n'est qu'un épisode, certes, de bravoure de toutes celles et tous ceux qui ont donné leur vie pour une Algérie indépendante et de progrès. Pourquoi ne fêterions-nous pas dans un même mouvement les grandes heures de l'Algérie et conforter le jeune Algérien, car, en définitive, c'est de lui qu'il s'agit? S'agissant de l'invasion par la France de l'Algérie, l'inventaire du passé colonial reste à faire. «Certes, écrit le professeur Lahouari Addi, tout Etat, aussi démocratique soit-il, propose une vision édulcorée de la vérité historique. Jusqu'à récemment, la France des années quarante était considérée comme majoritairement résistante...L'objectivité historique est difficile à atteindre lorsque l'on touche aux références fondatrices d'une nation. Mais la grande différence avec l'Algérie réside dans l'existence d'une recherche universitaire indépendante...Il ne s'agit pas d'une entreprise de dénigrement du combat indépendantiste, qui a une légitimité incontestable puisque la colonisation est la négation de la civilisation. Mais l'écriture de l'histoire de la guerre de Libération, telle qu'elle a été écrite en Algérie depuis 1962, est marquée par le sceau des occultations et des falsifications.»(1) Pour rappel, l'appel du 1er Novembre fut le détonateur d'une révolte portée par tout un peuple. «A vous qui êtes appelés à nous juger, notre souci, en diffusant la présente proclamation, est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l'indépendance nationale...» C'est par ces phrases que les combattants annonçaient à la face du monde leur volonté de combattre le fait colonial: une poignée d'hommes sans moyens, avec une immense conviction sur la légitimité du combat mirent en oeuvre une révolution qui devait servir de modèle à bien des mouvements de libération de par le monde. Le 1er Novembre 1954 est, à juste titre, le dernier épisode symbolique du combat incessant du peuple algérien pendant plus de 25 siècles. Combien de jeunes connaissent ce texte fondateur, revendiqué d'ailleurs par tous les partis politiques. Combien connaissent les grandes dates de l'histoire, trois fois millénaire, de leur pays. Parlant de l'Algérie de 2007 qui peine à se redéployer, Lahouari Addi écrit: «L'Algérie est-elle une société ou une juxtaposition d'espaces domestiques en concurrence pour les biens de subsistance? L'exacerbation des antagonismes entre les intérêts privés, impose la formation d'un espace public où l'individu n'est pas un moyen mais une fin. C'est ce passage vers la sphère publique que l'Algérie peine à réaliser (...) Dès lors que les conditions de l'autosubsistance ont été détruites, les individus se procurent la subsistance en dehors des espaces domestiques, dans un contexte de rareté de biens fournis essentiellement par le marché mondial. Interface entre les familles algériennes et le marché international, l'Etat est pris d'assaut par les réseaux de corruption que favorise la structure néopatrimoniale du régime, dans laquelle des castes sont au-dessus des lois. Détenir une position dans l'appareil de l'Etat, c'est s'assurer une place stratégique dans le mécanisme de l'économie de rente. Dans l'économie rentière, ce qui est consommé par une famille est retiré à une autre, selon le modèle du jeu à somme nulle (il n'y a pas de création de richesse, ndlr). C'est ce qui explique la corruption à tous les niveaux de l'Etat...Dépendantes de l'Etat, à travers les prix des biens alimentaires importés, les couches sociales pauvres se mettent à rêver d'un Prince juste qui limitera les libertés pour donner équitablement à chacun sa part. La popularité des islamistes a trouvé son origine dans cette structure distributive des richesses financées par la rente énergétique et exprime, par ailleurs, le niveau de dépendance de la société par rapport à l'Etat.»(1) S'agissant de l'université, Lahouari Addi, écrit: «Le combat pour une université digne de ce nom, productrice de savoirs, animée par des enseignants-chercheurs respectés, est un combat qui engage l'avenir. Vous luttez pour que les compétences restent au pays, parce que, dans l'ère de la mondialisation, payer un professeur 400 euros par mois, c'est inciter l'élite intellectuelle à quitter le pays. L'enseignant universitaire est devenu, en quelques années, un employé paupérisé, alors qu'ailleurs, aux USA, en Europe, au Japon, il est une autorité sociale. En Algérie, c'est à peine un petit fonctionnaire luttant pour survivre dans une société où il n'est plus un modèle pour les jeunes, dans une société où l'échelle des valeurs a été bouleversée. Si l'Université est dans la léthargie, cela voudrait dire que la société civile n'en est pas une...» La réussite (ou l'échec) de notre pays à construire la modernité sera évaluée sur le critère d'élaboration de la société civile. Il est vrai que l'Algérie est le pays des paradoxes: pour avoir la paix sociale, en flattant dans le sens du poil, les classes dangereuses porteuses de nuisances ou parce que leur débrayage bloque le train-train de l'Etat, pas, on l'aura compris, en termes de performance mais en termes de temps mort. A titre d'exemple, chacun sait qu'une grève à Air Algérie se règle dans la semaine, dans l'opacité la plus totale. Par contre, une grève dans le système éducatif peut durer des mois, cela n'émeut ni les autorités, ni les partis, encore moins les syndicats. Je suis tenté de dire en définitive que l'avenir de ce pays se construira à partir d'un passé admis par tous ses citoyens sans exclusive. Une seule issue Les multiples dimensions devraient être assumées sereinement, et chaque habitant de ce grand pays se doit de revendiquer ses multiples identités non plus à l'état de ghetto honteusement toléré mais par une acceptation sereine et assumée. Notre pays doit retrouver le chemin de la sérénité. Il doit libérer les énergies en réhabilitant les valeurs du travail, de l'effort et du mérite. Il n'y a pas d'autre issue.(2) Inventons un nouveau Premier novembre mobilisateur qui puisse répondre aux défis du siècle concernant la sécurité alimentaire, le problème de l'eau, les changements climatiques et par-dessus tout le défi de l'énergie, tant il est vrai que cette rente n'est pas au service du développement, elle s'effrite sous forme de bons du Trésor américain, qui rapportent la moitié de ce que nous perdons dans l'inflation, en priant Dieu que l'Algérie puisse sortir sans trop de casse de cette crise financière. Il est plus que temps de freiner cette hémorragie et de comprendre que notre meilleur coffre-fort est notre sous-sol. Pour faire court, la Révolution de novembre devra être réappropriée par la jeunesse à qui on doit donner une perspective de sortie du tunnel autrement que celle de l'évasion. Une révolution de l'intelligence est certainement la solution. Seul le parler-vrai permettra à l'Algérie de renouer avec ce nationalisme qui, contrairement, n'est pas passé de mode, c'est un puissant stimulant. On l'aura compris, la mascarade du drapeau par foyer ne peut en rien remplacer le drapeau algérien que l'on doit accrocher dans nos coeurs et nos tripes et prouver par nos actes au quotidien que l'on mérite, réellement, cette merveilleuse Algérie. 1.Lahouari Addi: La représentation du 1er Novembre 54 à partir de la presse algérienne francophone 2.C.E.Chitour. L'Algérie: Le passé revisité. Editions Casbah. Alger. 2005.