Même dans cet élan de joie, Julie Gram pense déjà au deuxième mandat: «Je vous donne rendez-vous pour un deuxième mandat», a-t-elle promis avant de prendre congé du groupe, car demain il faut aller travailler. El Kader se réveille en ce 4 novembre 2008 sous un ciel bleu et un doux climat, un été indien. Entourée de petites collines et de môles, cette ville de près de 2000 habitants, lovée au coeur de la vallée du Mississipi, porte le nom de l'Emir Abdelkader, la seul ville aux Etats-Unis à avoir ce privilège de porter le nom d'un musulman. A sa manière, El Kader célébre la nuit de l'élection. Fethi Boudaouni, un Algérien originaire de Kouba propriétaire d'un restaurant, le Schera's, a été derrière l'idée de cette célébration. «Habituellement nous ne travaillons pas les mardis mais nous avons décidé de passer une nuit avec les clients et de suivre les résultats de ces élections», explique Fethi totalement engagé dans la campagne électorale pour Obama. Durant les deux derniers jours de la campagne, il a carrément offert une partie de son restaurant à l'équipe de campagne de Barack Obama. Marie Harstad, une des chargées de la campagne électorale, presse le pas. Elle porte dans une main un paquet de posters du candidat Obama à coller sur les portes et dans l'autre main une liste de personnes qui n'ont pas encore voté. Elle n'a que quelques heures avant la fermeture des bureaux de vote. Sa tâche consiste à sensibiliser ceux qui n'ont pas encore voté, d'aller le faire. Sans relâche, sans répit, on ne s'arrête pas, on ne lâche rien, ainsi va la campagne électorale aux Etats-Unis qui ne s'arrête pas même lors du déroulement du vote. Il est 17 heures alors que les premières prévisions sont diffusées par les chaînes de télévision, les clients commencent à affluer vers le restaurant Shera's. Ils se saluent, se congratulent, la crainte, le stress et la peur se lisent sur des visages fatigués par une campagne effrénée. La ville d'El Kader où le pourcentage des Noirs est pratiquement insignifiant, est totalement acquise à Barack Obama. Comme dans un stade de football, à chaque action, les cris fusent d'une assistance saisie de fièvre. Les premiers cris de joie retentissent quand le speaker de la télévision annonce que l'Etat de l'Ohio a été remporté par le candidat Obama. «C'est le début de la victoire, on a vaincu le signe indien», annonce un démocrate. Lors de l'élection de 2004, c'est cet Etat qui a donné la victoire à Bush. Les visages se dérident, le candidat démocrate a pris une longueur d'avance sur son rival à l' annonce, de 192 grands électeurs pour Obama contre 76 pour McCain. Le terme de la course est d'arriver a décrocher au moins 275 grands électeurs pour enfin gagner cette élection que le monde entier suivait en direct. Une offensive à l'Est et Obama creuse l'écart, il atteint 195 grands électeurs alors que son rival traîne la patte à 76 et le Schira's est encore envahi par des cris de joie mais timides. Entre deux annonces et un spot publicitaires, la télévision montre les images du méga, meeting de Chicago, une ville qui a sombré depuis une semaine dans une sorte d'hystérie obamaniaque sans égale dans l'histoire de l'Illinois. Il n'est que 20h 45 et l'attente se poursuit, la partie est loin d'être gagnée, à moins d'un K.O. qui sera asséné par l'un des candidats à son rival. Toujours offensif, Obama fait dérider les visages, il creuse encore l'écart pour supplanter son rival. Avec 200 électeurs, les démocrates y croient réellement. Il ne reste plus que 75 grands électeurs à prendre. Il est 21h 45 quand le franc-tireur relève la tête et fonce vers sa cible. McCain passe en dix minutes de 76 à 90, une percée qui donne des sueurs froides aux démocrates et le syndrome de Bradley refait surface. C'est le début du doute. Et si McCain l'emportait? s'interroge-t-on en silence. Au restaurant Schera's, les visages se crispent, les yeux écarquillés, on s'agrippe à son verre. Puis, le démocrate contre-attaque dans le fief même des républicains. Quelle grande avancée vers le sacre! Obama gagne un des Etats habituellement acquis aux républicains. Il s'agit de l'Etat de l'Iowa, l'Etat où se trouve la ville d'El Kader, «On ne va quand même pas laisser passer comme ça ce succès de notre Etat! Allez, applaudissons notre Etat», recommande un client du restaurant et les El-kadériens s'appliquent à applaudir. «Good job, Keith», lance le sénateur Brian Schoenjahn à un jeune qui venait de rejoindre le Schira's. Keith a très activement participé à la campagne d'Obama. La pression baisse et la télévision annonce un break de 10 minutes avant de poursuivre à dévoiler les résultats. Juste le temps de reprendre son souffle et c'est reparti, mais de quelle manière! C'est fulgurant, un coup de maître, un K.O. au moment inattendu! Obama défonce la barre des 275 pour atteindre les 280 et les clients se libèrent de leur angoisse et laissent éclater leur joie à l´annonce de la victoire du démocrate Barack Obama. Même dans cet élan de joie, Julie Gram pense déjà au deuxième mandat: «Je vous donne rendez-vous pour un deuxième mandat», a-t-elle promis avant de prendre congé du groupe, car demain il faut aller travailler.