«Dire que le cinéma algérien est convalescent est une grave méprise. Il revient en force, il revient au galop, naturel, lucide, ingénieux.» Entier, intègre et polémiste, car profondément honnête, Yasmina Khadra ne laisse jamais indifférent. Il était récemment président du jury des «Journées cinématographiques de Carthage» où il en est revenu ébloui par certains films dont les algériens La maison jaune de Amor Hakkar et Masacardes de Lyès Salem qui marquent un retour en force de notre cinéma, sur le plan qualitatif bien entendu. Dans cet entretien, l'auteur de L'Attentat revient sur ses dernières «sorties» médiatiques, sa position envers les institutions littéraires en France et évoque les raisons de son rejet par celles-ci, tout en se félicitant de la fidélité de ses lecteurs. Ce qui est de loin l'essentiel à ses yeux. Yasmina Khadra, toujours tourné vers l'avant, parle également de ses projets, partagé qu'il est entre la promotion de ses livres, l'écriture notamment de scénarios et la gestion du Centre culturel algérien à Paris. En somme, Yasmina Khadra est un homme alerte, qui espère plus de la vie que des prix... L'Expression: Je commencerai d'abord par vous demander ce qui vous a poussé à accepter d'être le président du jury de ces JCC et la raison, selon vous, pour laquelle on vous a sollicité pour présider cette compétition de films cinéma, sachant que vous-mêmes n'êtes pas cinéaste? Yasmina Khadra: J'ignore la raison du choix des organisateurs, cependant cela m'a fait plaisir. J'ai été sollicité par d'autres jurys, en Algérie, en France et en Belgique, mais Carthage m'a séduit. C'était l'occasion pour moi de découvrir Tunis, et mes lecteurs tunisiens. Je ne suis pas cinéaste. Cela ne m'empêche pas d'être cinéphile. J'ai aussi signé quelques scénarios et le cinéma m'intéresse et s'intéresse à mes romans. C'est un monde fascinant, sur les écrans et dans la vie. Et j'espère n'avoir pas déçu les amis des JCC. Quelle appréciation faites-vous aussi de ces JCC dont vous étiez l'honorable président? J'ai été agréablement surpris par l'audace, le talent et la générosité des films sélectionnés. Certains d'entre eux n'avaient pas grand-chose à envier aux films occidentaux. Nos cinéastes ont acquis un savoir-faire considérable. On voit bien que l'apport financier, par endroits, était dérisoire, mais le génie des réalisateurs a supplanté ce manque, et certains nous ont particulièrement scotchés à nos sièges. Je suis absolument persuadé qu'avec un minimum de soutien, notre cinéma va exploser. Les JCC sont un rendez-vous important. Certes, des petits dysfonctionnements ont été relevés par-ci par-là, mais à aucun moment nous n'avons eu l'impression que l'on trichait. Les organisateurs se sont défoncés avec les moyens du bord, ont oeuvré nuit et jour pour donner au festival un rayonnement international crédible et stimulant. Les membres du Grand Jury ont joué le jeu jusqu'au bout, avec honnêteté. L'ambiance était sereine. Aviez -vous eu des difficultés à départager les films en compétition? Teza nous a immédiatement interpellés. Il a fait l'unanimité dès le premier tour. C'est un film fabuleux, d'un courage et d'une lucidité à couper le souffle. Hailé Gérima m'a littéralement bluffé. Il est tout simplement divin. Son combat, pour faire son film, a duré 14 ans, pourtant, à aucun moment on ne l'a perçu. C'est une fresque saisissante d'intégrité et de sobriété. Khamsa et Laïla's birthday ont bataillé pour le Tanit d'argent. Les 2 films sont admirables d'intelligence et d'adresse. Par ailleurs, tout le monde a été épaté par les deux productions algériennes en compétition. Mascarades a surpris plus d'un. Il a été le plus applaudi dans la salle, et les éloges ont rapidement gagné les rues de Tunis. Un régal. Une bouffée d'air extraordinaire. Pour un premier long métrage, c'est carrément magistral. Désopilant, intègre et génial. Lyès Salim a convaincu tout le monde, grands et petits. Il a obtenu le Tanit d'or des Juniors et le Prix de la Première oeuvre. Nous avons hâte de le proposer aux Amis du CCA à Paris puisqu'il est programmé le 21 novembre à 18h30. Les gens vont adorer. Autre merveille: La Maison jaune de Hakkar. Géant! Splendide! Quelle intelligence! Il a bouleversé le jury et le public. J'ai été enchanté, heureux comme un mioche devant un aquarium. Dire que le cinéma algérien est convalescent est une grave méprise. Il revient en force, il revient au galop, naturel, lucide, ingénieux. Un vrai bonheur. D'autres films ont été réussis, tels Les Coeurs brûlés (Maroc), Whatever Lola wants, qui est un coup de maître dans le style hollywoodien. Ils n'ont pas obtenu de prix certes, mais ils ont enthousiasmé le public. Globalement, je suis sorti de cette tornade souvent ébloui et confiant quant à l'avenir du cinéma arabo-africain. En tant qu'écrivain, où en êtes-vous justement avec certains de vos livres devant être adaptés à l'écran, nonobstant la série sur Les aventures du commissaire Loeb dont le tournage débutera bientôt et dont la réalisation échoit à Bachir Derrais? Une série de 6 heures n'est pas une sinécure. Je travaille au scénario. Très difficile de diriger un centre culturel, de faire la promotion de son livre et d'écrire. J'essaie de gérer tout ça avec équité. Mais le scénario avance. J'espère offrir à la télé algérienne des moments heureux. Il y a quelques semaines, vous avez dénoncé en France le fait que votre nom n'apparaisse sur aucune liste de prix littéraires: un mot là-dessus? Contrairement à ce qui a été rapporté, je n'ai pas parlé des Prix, mais j'ai déploré l'attitude des institutions littéraires affichée à mon encontre. Je rappelle seulement que cette disqualification systématique cible en particulier les Algériens qui ne sont pas conformes à une certaine idée parisianiste. Mouloud Mammeri l'avait subie, à son époque, avec son magnifique Le Sommeil du juste. Kateb Yacine n'a rien obtenu de ces gens, bien que Nedjma soit devenu un livre culte. Assia Djebar et Mohammed Dib ont postulé au prix Nobel sans jamais convaincre le Goncourt. Plus récemment, Rachid Boudjedra, qui a réussi un formidable coup d'éclat avec La Répudiation, on lui avait préféré autre chose. Pour Paris, comme pour l'Europe, pour être écouté, il faut s'inscrire dans la dissidence. Il y a une semaine, j'ai été convié à une rencontre avec les parlementaires au Parlement européen à Bruxelles. J'ai dit à la télé de cette énorme institution, à propos du dialogue culturel, que leur approche de notre culture est biaisée. Pour eux, il faut être dissident pour être perçu. Ils se fichent royalement de nos arts, de notre talent, de notre érudition. Les seuls tremplins qu'ils nous proposent sont la prison, les tracasseries avec le Pouvoir, si bien que certains de nos intellectuels privilégient la provocation outrancière pour choquer, déclencher des réactions extrêmes et susciter l'intérêt. C'est l'ère du néodonatisme qui revient. Encore une fois, je ne revendique ni les prix ni la reconnaissance, mais l'honnêteté. Je suis très content de mon parcours. J'ai mon lectorat et une critique qui me soutiennent, et cela me suffit. Pensez-vous que cela est dû à l'histoire de votre dernier roman Ce que le jour doit à la nuit et dont la trame se situe pendant la guerre de Libération nationale? Non. Bien sûr, ces vénérables juges et fossoyeurs de notre talent auraient préféré que mon roman soit écrit par un écrivain de leur camp. Quand la sagesse et la générosité viennent d'un Algérien, ils ne le supportent pas. Adonis a exhorté récemment les Arabes à ne plus penser au prix Nobel, faisant allusion à l'impossibilité de l'obtenir, qu'en pensez-vous? Un prix dicté par des raisons politiques donc? Adonis est libre de dire ce qu'il veut comme je suis libre de penser comme je l'entends. Mon seul souci est de continuer d'écrire et de mériter le soutien de mes lecteurs. Le prix Nobel, c'est beau, mais la vie est plus belle. Et il y a d'autres joies en ce monde. Un mot aussi sur votre discours prononcé au Parlement européen et le prix que vous venez de recevoir de la part de France Télévisions, cela vous conforte-t-il dans vos idéaux? C'est un prix de lecteurs. Un prix loyalement défendu, démocratique et sans enjeux commerciaux. Ce qui est rassurant. Je tiens, tout de même, à signaler que mon roman, même disqualifié d'office, se porte bien. Il s'est vendu à plus de 100.000 exemplaires en deux mois de parution. Mes lecteurs viennent me voir dans les salons, et je puise dans leurs propos une confiance et une sérénité magiques. Le reste, les propos que l'on attribue, la paranoïa des détracteurs, la grossièreté de leurs réactions et les calomnies qu'ils propagent à mon sujet les renvoient à leur propre misère. Je n'ai que chagrin pour eux.