De lourdes incertitudes pèsent sur la survie du gouvernement thaïlandais qui éprouvera les plus grandes difficultés à empêcher une spirale de violences ou un nouveau coup d'Etat, estiment des analystes. Le 23 novembre, des opposants ultra-royalistes de «l'Alliance du peuple pour la démocratie» (PAD) ont lancé la «bataille finale» pour renverser le pouvoir, alors que leur campagne entamée il y a six mois commençait à s'essouffler, faute d'argent et de mobilisation populaire. Mais, deux jours plus tard, ces militants, déterminés et bien organisés, se sont emparés de l'aéroport international de Bangkok et ont provoqué sa fermeture. Ce coup d'éclat a constitué une escalade majeure alors que la capitale thaïlandaise est l'une des plaques tournantes du tourisme et des affaires en Asie. La police est apparue totalement impuissante face aux manifestants. En dépit des inquiétudes exprimées de par le monde, l'armée thaïlandaise a refusé jusqu'ici de prêter main forte à la police pour venir à bout des manifestants, vêtus pour la plupart de jaune, en signe d'allégeance au roi Bhumibol Adulyadej (80 ans), immensément révéré dans son pays. «Cette situation tendue ne peut pas durer et quelque chose se produira dans les prochains jours», estime Thitinan Pongsudhirak, politologue à l'université Chulalongkorn de Bangkok. Pour l'heure, ajoute-t-il, les positions sont figées: «le gouvernement refuse de céder. Les"chemises jaunes" ne bougent pas. L'armée ne bouge pas et la police pourrait ne pas faire son travail (pour déloger les manifestants)». La PAD, qui exige la démission du Premier ministre Somchai Wongsawat, avait déjà largement contribué, par des manifestations en 2006, à déstabiliser l'ancien homme fort de la Thaïlande, Thaksin Shinawatra, avant son renversement par l'armée. M.Thaksin, puissant homme d'affaires de 59 ans, s'est réfugié à l'étranger, mais ses lieutenants sont revenus au pouvoir à la faveur d'élections législatives en décembre 2007. L'actuel Premier ministre est le beau-frère de M.Thaksin et la PAD accuse le clan Shinawatra, originaire de la région de Chiang Mai (nord), d'être «totalement corrompu» et de «manquer de respect envers la monarchie et le drapeau national». Le chef de l'armée, le général Anupong Paojinda, a appelé le Premier ministre à dissoudre le Parlement et à convoquer des élections anticipées, ce que M.Somchai a pour l'instant refusé, arguant de la légitimité de son gouvernement. «Ce que les "chemises jaunes" disent en substance (à l'armée), c'est: "faites un coup d'Etat et nous quittons (les bâtiments occupés). La seule chose dont nous ne voulons pas, c'est du gouvernement actuel"», explique Robert Broadfoot du cabinet de consultants Political and Economic Risk Consultancy. Pour lui, la PAD milite pour la restitution du pouvoir à une «coalition des élites» conservatrices de Bangkok. M.Thaksin, qui s'est déjà posé en recours éventuel, a averti vendredi, depuis Hong Kong, qu'un nouveau putsch provoquerait cette fois des violences, contrairement au calme qui avait prévalu lors du coup d'Etat de 2006. Un rassemblement de partisans du gouvernement, en chemises rouges, était prévu hier à Bangkok. Dans les prochains jours, la Cour constitutionnelle - où la majorité des juges sont hostiles au gouvernement- pourrait ordonner la dissolution du parti au pouvoir et de deux formations alliées, sous prétexte que certains de leurs dirigeants sont accusés de fraudes électorales lors du scrutin législatif de 2007. Un autre analyste, Panitan Wattanayagorn, rappelle qu'un important événement jeudi prochain pourrait changer la donne: l'intervention télévisée annuelle du roi Bhumibol à la veille de son anniversaire. Jusqu'ici, le monarque constitutionnel ne s'est pas exprimé sur la crise, mais son épouse, la reine Sirikit, avait assisté aux funérailles d'une manifestante pro-PAD tuée lors d'une charge policière le 7 octobre près du Parlement.