Soixante-trois ans après le massacre, les Japonais ne voient en les Américains qu'un partenaire économique. Après avoir tourné la page, Hiroshima s'est accrochée au train du développement. «Un de mes frères s'est suicidé. L'autre est atteint de schizophrénie depuis l'âge de douze ans et mes parents ont été tués le jour-même du bombardement», témoigne le professeur Okatamo Mitsuo, docteur d'Etat et professeur émérite à Hiroshima Shudo University. Le professeur Okatamo témoigne avec sang-froid. Dans la salle des conférences de l'université de Hiroshima, d'autres étudiants vivant dans la ville martyre suivent avec attention l'intervention émouvante. L'orateur a surmonté toutes ces épreuves. Aujourd'hui, il enseigne aux jeunes générations un module nouveau qui s'appelle «Peace», la paix. Un jeune étudiant japonais, la vingtaine, a été invité à apporter son témoignage sur ce qu'il retient de la tragédie de Hiroshima. «Mon grand-père a été touché par ce drame. Il m'a toujours parlé de cet événement douloureux. Durant toute sa vie, il vouait une haine immense aux Etats-Unis d'Amérique. Mais quelque temps avant sa mort, il m'avait confié qu'il faudrait tourner la page.» Dans la salle, l'émotion est à son summum. Mais la population japonaise de Hiroshima, du moins la jeune génération, semble avoir pansé ses blessures. «Les jeunes de Hiroshima vivent normalement et ne pensent pas trop à cette tragédie», affirme une étudiante, rencontrée dans le restaurant universitaire de l'université de Hiroshima. Si les jeunes ne parlent pas trop de la tragédie du 6 août 1945, l'ancienne génération en garde un souvenir amer. A l'esplanade du Musée de la paix d'Hiroshima, une vieille, un album de photos en noir et blanc à la main, n'arrête pas d'interpeller les visiteurs. Ses blessures sont encore vivaces. Elle veut immortaliser à sa manière la mémoire de son mari tué lors du largage par l'armée américaine de la première bombe atomique ayant fait plus de 150.000 morts en quelques secondes. Sans compter les milliers d'autres qui périrent des mois, voire des années plus tard. La femme ressasse inlassablement les même propos en feuilletant l'album de photos de son défunt mari qu'elle semble avoir aimé d'un amour que même la sauvagerie d'une bombe atomique n'a pu faire oublier. Devant ce musée, des milliers d'élèves et de touristes venus des quatre coins du monde ne cessent d'affluer. Les écoliers tiennent des cahiers et recopient des phrases et des slogans. L'objectif de cette action consiste à inculquer aux futures générations que la paix est sacrée. Avec le temps, cet endroit où le visiteur peut encore voir les ruines laissées par le bombardement, est devenu une zone touristique. Un monument a été érigé à la mémoire des victimes. Des milliers de personnes se succèdent devant ce monument, pour s'y recueillir et prendre des photos. Mais c'est à l'intérieur du musée que le visiteur est bouleversé. Des photos du jour du drame sont exposées. Des photos d'horreur. Des photos montrant jusqu'à quel point la détresse humaine peut s'étendre. «Les Américains étaient-ils conscients des dégâts que cette bombe allait causer?», s'interroge un groupe de visiteurs, ébahis, consternés devant la première photo prise juste après le bombardement. Ce musée est l'un des rares au Japon où le visiteur peut trouver une documentation en plusieurs langues, notamment en français et en arabe. Ce détail renseigne sur l'importance accordée par le gouvernement japonais à ce site. Un guide sonore est également disponible en plusieurs langues. On peut y consulter des renseignements précis sur les objets en rapport avec le bombardement atomique et les autres expositions. Le guide sonore, un petit appareil doté d'un écouteur, permet de faire des lectures de ce qu'offre le musée. On peut citer le bombardement atomique et les habitants de Hiroshima, la souffrance des enfants abandonnés, l'ère nucléaire, la planète nucléaire, la cérémonie de la paix, la voie vers la paix, Hiroshima avant le bombardement atomique, des affiches des ramassages des métaux, la bombe atomique, de son développement jusqu'à son largage sur Hiroshima, une sélection des villes ciblées, le quartier de Nakajima (Parc de la paix avant et après le bombardement atomique), les activités de secours, les dommages causés par l'explosion, les dommages causés par l'incendie généralisé, les dommages causés par les radiations, ceux causés par les rayons de chaleur et la bombe atomique larguée sur Hiroshima. Plusieurs présidents et autres personnalités mondiales, dont des prix Nobel de littérature et de la paix, ont visité ce musée et ont consigné leurs impressions sur des registres mis à la disposition des visiteurs. Dans toutes les doléances écrites, un seul leitmotiv: la paix. Un voeu qui fait incontestablement l'unanimité. Mais, soixante-trois ans après le massacre de Hiroshima, la planète n'arrive pas encore à retrouver le chemin de la quiétude. Hiroshima s'est accrochée au train du développement. Elle est aussi moderne que la capitale Tokyo. C'est une ville magnifique, où la technologie est très avancée. La ville est immense. La vie est belle aujourd'hui à Hiroshima. Elle l'est grâce au courage des Japonais, à leur volonté, à leur discipline, au travail. Mais elle l'est surtout, grâce à leur grand coeur, à leur esprit de tolérance, à leur capacité de tourner la page. Aujourd'hui, les Japonais ne voient en les Américains qu'un partenaire avec lequel beaucoup de choses peuvent être faites dans l'intérêt de leur pays.