Les jours heureux n'ont pas de durée, puisque tous les printemps aussi. Il faut, peut-être, pour prévenir toute confusion, préciser qu'il s'agit ici de l'ouvrage Le Crépuscule des Anges (*) de l'écrivain algérien Saïd Smaïl, car ce titre a été utilisé par d'autres auteurs, notamment, Stephen Desberg (pour ses récits en bandes dessinées, 1998), Pascal Tchakmaktan (pour sa saga historique sur les Arméniens, en 2000), Samael Roman (une fresque épique volumineuse sur la guerre des Anges, en 2007). Ce gros livre (530 pages) de Saïd Smaïl, dont c'est la toute première oeuvre dans sa production littéraire et qui bénéficie d'une préface judicieuse de Mouloud Achour et d'un épilogue fort moralisateur, a déjà fait l'objet d'une coédition ENAL/ENAP, en 1987. Depuis cette date, il aura proposé à ses lecteurs plusieurs titres. Le Temps de lire a présenté de lui Délit de survie (Voir L'Expression du mercredi 2 janvier 2007.) J'estime que Le Crépuscule des Anges qui vient de paraître est une oeuvre intense par le thème proposé - un amour contrarié pendant la guerre de Libération entre Saïd et Monique - et par le ton mis pour raconter cette histoire prenante, par moments fantastique, bien que classique...Peut-être, est-ce une autobiographie contrôlée par l'auteur qui est aussi journaliste, mais celui-ci pouvait-il faire en quelque sorte entièrement confiance à sa mémoire? La mémoire est toujours ´´oublieuse´´, et ce qu'il veut sauvegarder de ce qu'il en reste, est naturellement une sélection difficile pour l'écrivain, car il ne peut tout dire, sauf se faire plaisir de ce qu'il a observé. Au demeurant, on constate que le journaliste observateur qu'il est, a beaucoup aidé l'écrivain qu'il est devenu, et c'est le cas de Saïd Smaïl. En effet, les mots et expressions drus, le style alerte, la description détaillée des personnages et des lieux où ils évoluent, trahissent parfois un certain désir légitime de littérature de bon aloi, - imaginer, dire la souffrance d'un couple d'amants n'est pas chose facile à traiter! Et de plus, il y aura toujours quelqu'un pour manifester son exaspération d'avoir à lire encore une oeuvre sur la guerre de Libération. Pourtant, il y a tant d'aspects socioculturels et politiques que nous ignorons et que des récits comme celui de Smaïl peuvent éclairer. Ne voyons-nous pas qu'ailleurs, après deux Guerres mondiales, on continue de ´´faire parler´´ les champs de bataille et d'exploiter le caractère inhumain des faits militaires? Pourquoi chez nous devrions-nous «oublier», «effacer», «tourner la page» du grand malheur subi par le peuple algérien durant près d'un siècle et demi de colonisation?...En ce temps-ci où une réflexion court de part et d'autre de la Méditerranée, il est pertinent de rappeler ce juste propos du pape Léon XIII (1810-1903): «La première loi de l'Histoire est de ne pas oser mentir; la seconde, de ne pas craindre d'exprimer toute la vérité.» Ainsi les amitiés peuvent renaître, plus fortes comme jamais. Au reste, Saïd Smaïl - qui, de toute façon, n'a pas révisé la première édition de son livre et donc on relève encore quelques maladresses de style, quelques longueurs dans le développement, quelques dégradations dans l'ordre psychologique du récit et des dialogues -, comme les grands romanciers, ne se renie pas soi-même. Ce monde, où toutes sortes d'ombres l'écrasent, est perçu et nous est transmis avec une singulière passion par l'auteur dans Le Crépuscule des Anges. C'est par cela que Saïd Smaïl a été capable de toucher le coeur de ses lecteurs. Le Crépuscule des Anges est, en effet, une histoire tout compte fait simple et surtout vraisemblable d'autant que c'est dans la psychologie des personnages, dans leur mode de vie (croyances, origines, préjugés, tabous,...) et dans l'époque décrite où se déroule l'action, que le drame surgit et que l'émotion devient souveraine. La chaîne mythique «liberté-égalité-fraternité» explose d'orgueil dans une Algérie colonisée et, ici et là dans les consciences; elle ne résout rien. Saïd Smaïl tente de le montrer avec beaucoup d'humanisme, mais parfois avec trop de sensiblerie dans sa façon de communiquer son noble projet: l'amour doit être au-dessus de la haine. Pour ne pas déflorer le sujet, surtout la fin de l'histoire, et les moments où la dramatisation est à son paroxysme, voici un résumé de principe du récit Le Crépuscule des Anges. Les premières pages exposent la situation de deux familles (celle de Amar Safour et celle de Henri Marchant, tous les deux propriétaires terriens en Algérie). Un respect mutuel, sinon une amitié, les lie solidement. Le jeune Saïd Safour est en âge de se marier, mais il refuse d'épouser l'une de ses deux cousines, pourtant «comme il faut». Il persiste à fréquenter la volage Georgette quand, quelque temps après, les jeunes Marchant Monique et son frère, ayant terminé leurs études en France, sont de retour. Saïd s'éprend bientôt de Monique, son amie d'enfance. En Algérie, c'est le début de la guerre de Libération. L'amour des deux jeunes gens, «le beau couple», dérange, et chez les Safour et chez les Marchant. Mais la passion submerge Saïd et Monique. Le lecteur a droit à des pages d'un érotisme exacerbant et exacerbé, et les deux communautés, en plein drame - les temps sont devenus mauvais - ne supportent pas cette aventure inouïe, «contre nature». Le serment prêté à Saïd par Monique est profondément sincère: «Chérie faisons le serment du sang comme dans les histoires d'amour et de fidélité...Donne-moi ta main, ta blessure contre la mienne, et pendant que notre sang se mêlera, embrassons-nous en nous oubliant l'un en l'autre!» On voit que l'on n'est pas loin de Rodrigue et Chimène, de Roméo et Juliette...Et voici l'heure où commence une autre histoire, voici l'heure de monter au maquis. Saïd ne résiste pas à l'appel des «libres dans les montagnes»...La tragédie est au bout de cette histoire d'amour, quelque part dans les maquis de la liberté. Je termine par cette appréciation, tout en la regrettant: les éditions Dalimen nous avaient habitués à une fabrication soignée de ses publications. L'exemplaire de Le Crépuscule des Anges que j'ai en main, souffre d'une négligence étonnante dans le domaine de la mise en page, de la correction du texte, du choix de la police des caractères (par économie?)...Cependant, Dalimen a le mérite d'avoir réédité cette oeuvre émouvante dont le symbole reflète aujourd'hui la réalité d'hier. (*) Le Crépuscule des anges de Saïd SMAIL Editions Dalimen, Alger, 2008, 530 pages.