«C'est un corollaire de notre mal-vie. Nos enfants en subissent les conséquences...», dit un quadragénaire. Des olives sèchent en tas noirs et juteux sur le bord de la route. C'est la saison de la cueillette. On peut le savoir en observant les nuées d'étourneaux qui planent au-dessus des oliviers. Les écoliers de la profonde Kabylie ont tout abandonné durant ces vacances d'hiver. Une période censée être propice pour rattraper le retard acquis durant le premier trimestre. Pour ces enfants, les rattrapages se font la nuit au bord du feu, la journée est consacrée aux travaux des champs. Et les parcs d'attraction de Tikjda, Yakouren...? C'est pour les autres. Quoi encore, le bonheur? «Il faut le chercher ailleurs. Cette situation me renvoie aux années de la guerre où la cueillette des olives primait sur tout...», se souvient Dda l'Bachir, âgé de 80 ans. Si les yeux lui jouent des tours, l'esprit, lui, est intact. Les vieillards parlent d'un souvenir, la nouvelle génération est hantée, quant à elle, par l'amère réalité. «Ce n'est point une négligence des études. J'en suis persuadé un bon nombre, si ce n'est la totalité, de mes exercices demeurent non résolus. J'ai tranché pour cette solution de cueillir des olives et les vendre par la suite, pour subvenir aux besoins de ma famille pauvre et nombreuse.» C'est Nabil, un lycéen d'Akbou, très conscient de la situation, qui nous parle. Accroupi comme un soldat puni par son supérieur, il défie la nature et espère assumer son lourd rôle de père de famille dans lequel il se trouve depuis le décès de son père. Du haut d'un olivier, aâmi Rabah, quadragénaire au verbe châtié, natif des Ouacifs, résume la situation: «C'est un corollaire de notre mal vie. Nos enfants subissent les conséquences...» dit-il, péniblement. Là où l'on passe, des maisons ont l'air d'avoir poussé plutôt que d'avoir été construites, des gamins tapent dans un ballon de foot sur un terrain vague à flanc de colline, les joues rouges de froid glacial qui «sévit» en Kabylie. Non concernés par la cueillette des olives, ces bambins accompagnent leur famille. D'autres, plus âgés, font le berger côte à côte. A longueur de journée, ils demeurent inséparables. Dans leur musette tenue en bandoulière, on peut trouver également des livres, des matières essentielles «pour jeter un coup d'oeil». Eux qui s'apprêtent à passer un examen d'une importance capitale: le baccalauréat. L'un de ces livres est couvert d'une photo de la JSK. Les joueurs sont sagement alignés comme des écoliers pour une pose de fin d'année. Il suffit de regarder ces lycéens droit dans les yeux, pour lire la misère, toute la misère qu'ils vivent. Déboussolés, ils savent que les dés sont jetés d'avance. «Notre réussite relève du miracle», reconnaît Lounès qui, en sus de ces «malheurs», souffre d'une malformation au niveau de la nuque et des troubles de mémoire. Pour ne pas se lasser de «côtoyer» des chèvres, des moutons, des brebis...et des chiens gardiens de leur troupeau, ces adolescents taillent des flûtes dans le roseau. Ils aiment leur arracher ces sons qui ressemblent à l'écho des pierres qui roulent du haut de la montagne. Un son âpre, lancinant, comme tenu en apesanteur. L'angoisse et le stress gagnent l'esprit de ces jeunes, au fil des minutes et heures qui s'égrènent. Ces bergers attendent impatiemment que les aiguilles de la montre indiquent midi. Ou presque. Mains sales, un corps dégageant une odeur nauséabonde qui fait fuir certains passants qui viennent profiter de l'air pur des forêts ou faire des séances de jogging, ces jeunes se réunissent autour de leur repas. «Un repas pauvre ne sera servi qu'au fils du pauvre», souligne Ameziane. «Des piments, des oignons, des frites...», a-t-il expliqué. Agglutinés autour de tables noyées dans la fumée, certains s'asseoient à même le sol, les Ameziane et camarades s'adonnent, plus tard, avec une passion bruyante aux dominos. Hier, ils ont cueilli des olives. Aujourd'hui, c'est l'école. Ces enfants pourront-ils «cueillir» des points dans leurs examens et seront-ils classés parmi les meilleurs?