2959 ans après, le jour de l'an berbère n'est toujours pas reconnu sur le plan officiel. C'est Yennayer, le Nouvel An berbère. Le Djurdjura appelle les Aurès, le mont Chenoua invite le Hoggar. Tous s'apprêtent à célébrer l'événement. Sur les hauteurs du Djurdjura, les villages forment un bracelet de corail dédié à Lalla Khadidja. Yennayer coïncide avec «les noces de l'olivier». C'est la saison où les villageois partent à la cueillette des olives. Cependant, célébrer le jour de l'an amazigh y va de leur existence. Nous sommes en face du majestueux Djurdjura. Dda Saïd M., retraité et habitant du village d'Agouni Gueghrane qui a enfanté le grand Slimane Azem, nous raconte comment se prépare sa famille pour la circonstance: «Ce soir, une nouvelle page de notre histoire millénaire s'ouvre. Là, maintenant, je vais acheter du poulet, des légumes et tous les ingrédients qu'il faut pour préparer un couscous royal.» Nous prenons le chemin des Ouadhias, l'air pur allège nos pas, c'est vrai, mais c'est le froid qui accélère notre marche. Arrivés au centre-ville, nous nous rendons dans un café. Amar Didane et Amar Mokrani y sont attablés. Pour Amar Didane, la cinquantaine, mais toujours actif dans la vie associative: «Yennayer est une date symbolique de notre histoire. L'oublier, c'est nous renier». et à son ami de toujours, retraité, de renchérir: «Yennayer raconte l'histoire de l'épopée de Cacnaq, ce roi amazigh qui a conquis le trône de l'Egypte antique.» Le soleil donne de l'éclat au burnous de neige que porte «la montagne de la lumière», avec fierté. Virée à Béjaïa. La ville côtière de Bougie est un bijou offert par la Méditerranée à Yemma Gouraya. A la cité Sidi Ahmed, Houra H., la trentaine, affirme: «Yennayer est l'une des constantes de notre identité. Nous vivons dans un pays où l'on célèbre Moharram, le Nouvel An et Yennayer. A nous de saisir la portée de cette diversité.» Nous quittons la ville et prenons la direction de Barbacha. Sur les cimes de cette colline, nous éprouvons une agréable sensation de liberté. La poésie des hauteurs enseigne l'humilité. Nna Ghnima, septuagénaire, nous souhaite «asegwas amegaz, Que cette année soit porteuse de paix et surtout de succès pour vous mes enfants». Amine S, un jeune de 22 ans, s'approche de nous. Le regard vif et le ton fougueux, il déclare sans la moindre nuance: «Je suis un amazigh et Yennayer fait partie de mes attaches identitaires. Le célébrer c'est affirmer que, malgré le poids des siècles, notre culture est toujours vivante.» A notre retour à Béjaïa, nous sommes accueillis par l'air marin qui nous mène vers Alger. Les vagues de la mer reprennent en choeur les chants des Beni Mezghenna qui rappellent le lourd tribut payé par l'un des plus anciens peuples de la Méditerranée pour la liberté. Celle-là même qui continue d'abreuver ses aspirations. Dans les douerates de la Casbah, Djamel N, âgé de 75 ans regrette: «Nous célébrons des dates qui sont reconnues sur le plan officiel, alors que Yennayer ne l'est pas. Comme si cette date ne faisait pas partie de notre histoire.» Même son de cloche chez son compagnon Saâdi B qui avoue: «Le Nouvel An est fêté ostentatoirement, alors que les jours de Moharram et de Yennayer passent inaperçus.» Les premières étoiles scintillent et annoncent la tombée de la nuit. Un froid glacial s'installe sur la vieille Citadelle. Nous prenons la destination des hauteurs d'Alger. Rencontré à El Biar, Fathi B. ironise: «Ce soir, nous accueillerons Yennayer. Si, seulement, les autorités le savaient...» Ces propos nous rappellent et nous ramènent à cette citation de l'écrivain libanais Amine Maâlouf: «L'identité ne se compartimente pas.» Cela ne semble pas être l'avis des autorités qui ne semblent pas prêtes à reconnaître, officiellement, Yennayer. Pourtant, le jour de l'an amazigh renvoie à un évènement historique. En effet, en l'an 959 avant Jesus-Christ, un Amazigh a conquis le trône égyptien de «Oum addounia». Chechong, Cacnaq en berbère, fonde la XXIIe dynastie pharaonique, issue d'une famille originaire de Bubastis en Berbérie. Cet événement a été choisi pour inaugurer l'année berbère. Le choix a été fait par l'Académie berbère durant les années 70. Le choix est récent, donc, il est symbolique. L'histoire ne se dicte pas.