«C'est aux jeunes filles voilées que l'on doit donner les palmes académiques et non au ministre qui les a exclues!», aimait-il répéter. Le politologue aixois Bruno Etienne est décédé le 4 mars des suites d'une longue maladie à l'âge de 72 ans. Ancien coopérant en Algérie, il a exercé la plus grande partie de sa carrière universitaire à la Faculté de droit et à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence qui lui doit, en grande partie, ses lettres de noblesse. Spécialiste du fait musulman en France et dans le monde, il fut l'auteur des premiers travaux sur l'islamisme radical et sur l'implantation de l'Islam dans l'Hexagone. C'est à lui que l'on doit notamment la popularité de la formule «Islam de France». Et selon l'Institut d'études politiques d'Aix, «il demeurera pour le monde universitaire un pionnier de la recherche pluridisciplinaire sur le phénomène religieux et plus particulièrement sur la dimension politique dans l'espace euro-méditerranéen». Franc-maçon, membre du Grand-Orient, il prit des postions particulièrement courageuses sur la laïcité, en refusant de cautionner la stigmatisation du foulard islamique et son instrumentalisation politico-médiatique: «C'est aux jeunes filles voilées que l'on doit donner les palmes académiques et non au ministre qui les a exclues!», aimait-il répéter. De même, il critiqua à plusieurs reprises les «dérives» de la politique étrangère de la France, notamment lors de la première guerre du Golfe (1990-1991) qui, selon lui, ignorait la complexité du monde arabe (cf. son livre: Ils ont rasé la Mésopotamie: du droit de coloniser au devoir d'ingérence, Paris, Eshel, (2000). Enseignant passionné, ayant aussi enseigné en Tunisie, Egypte, Turquie, Syrie, Israël/Palestine, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Japon, il a publié plus de 25 ouvrages au titre desquels nous retiendrons L'Islamisme radical (1987), et La France et l'Islam (1989). Il forma de très nombreux étudiants qui sont aujourd'hui parmi les meilleurs spécialistes du monde arabe et de l'Islam européen. Certains de ses ouvrages sont devenus des best-sellers: L'Islamisme radical, Paris, LGF, 1989 La France et l'Islam, Paris, Hachette, 1989 Abdelkader, Paris, Hachette, 1994 L'Islam en France, Paris, Cnrs Editions, 2000. Une vie tournée vers le monde arabe Bruno Etienne agrégé en sciences politiques était également diplômé d'arabe à l'Institut des langues Bourguiba (Tunis). Chercheur au Cnrs de 1962 à 1965, il a coopéré en Algérie de 1966 à 1974, puis après avoir passé son agrégation en France, il est devenu maître de conférences à l'université de Marrakech de 1977 à 1979. Rentré en France en 1980, il prend la direction jusqu'en 1985 du Centre de recherche et d'étude des sociétés musulmanes d'Aix puis intègre, comme professeur, l'IEP de la cité provençale. Connu pour son franc-parler volontiers, provocateur, ce protestant d'origine et franc-maçon déclaré, affilié au Grand-Orient depuis 1960, aimait lutter contre les stéréotypes. Il avait été consulté sur l'Islam par plusieurs ministres de l'Intérieur en charge des cultes. «C'est un des premiers à avoir envisagé d'étudier le religieux en sciences politiques comme tel, et à avoir compris que l'islamisme radical était un produit de l'Occident, un mouvement moderne et pas le cheminement normal de la tradition islamique», rapporte Raphaël Liogier, professeur à l'IEP d'Aix qui lui a succédé à la tête de l'Observatoire du religieux. Pour Franck Fregosi, directeur de recherches au Cnrs à l'université Robert Schuman de Strasbourg et enseignant à l'IEP d'Aix, Bruno Etienne fut «un professeur hors normes qui incitait ses élèves à poser les bonnes questions, celles qui dérangent». Il travaillait sur le troisième volume de ses Anthropo-illogiques pour les éditions Odile Jacob. L'ouvrage sortira, assure son éditeur Alain-Jacques Lacot.