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La cage aux brûlés
LA SINGERIE DE SIDI FREDJ DE ASSIA SADOUN CHAIB-DRAÂ
Publié dans L'Expression le 18 - 03 - 2009

Dans les cages réservées jadis aux singes capturés dans les massifs des alentours de la forêt de Sidi Fredj, en 1957, les paras de Bigeard torturent des Algériens.
«C'est horrible, j'en ai la chair de poule, pourquoi mon Dieu tant de malheur, tant de souffrances! Mon papa est là couché à même le sol, je ne le reconnais plus, il est torse nu, très diminué, amaigri, les épaules et le dos brûlés, le visage complètement déformé, il est allongé sur le côté, les genoux repliés, tremblant de tous ses membres. Nous entrons dans la cage, maman et Odile [son amie] essaient de lui venir en aide, mais un militaire les en empêche, papa ne peut pas parler, il nous regarde, il est à demi-éteint, il ferme les yeux. [...] Le temps de visite est terminé, on nous ordonne de partir. [...] Le coeur serré, je regarde papa une dernière fois, il ne me voit pas, mais qu'importe, les militaires de Bigeard ont eu raison de lui, par chance, il est encore vivant!»
La lecture de ces lignes, extraites du récit La Singerie de Sidi Fredj (*) de Assia Sadoun Chaïb-Draâ, nous mène au coeur du drame. L'auteur retrace, souvent avec les yeux d'une fillette de huit ans, sa propre vie, celle de l'enfance face à la torture des siens, dans le cas présent son père Abderezak, par les services spéciaux de la République française en Algérie de 1955 à 1957. Parlant de cette époque, le général Paul Aussaresse (Services spéciaux, Algérie, 1955-1957, éd. Perrin, 2001) affirme «qu'il est impossible que cette armée [l'armée française] n'ait pas recours à des moyens extrêmes. Moi qui ne juge personne et surtout pas mes ennemis d'autrefois, je me demande souvent ce qui se passerait aujourd'hui dans une ville française où, chaque jour, des attentats aveugles faucheraient des innocents. N'entendrait-on pas, au bout de quelques semaines, les plus hautes autorités de l'Etat exiger qu'on y mette fin par tous les moyens?»
Cependant, pour nous faire arriver au «malheur» et «aux souffrances», Assia Sadoun Chaib-Draa nous raconte ses souvenirs d'enfance; elle est née «Un 12 juillet 1946, le mois le plus agréable de l'année.» Son grand-père Sid-Ali déclare l'appeler «Assia, pour qu'elle soit grande et forte comme l'Asie.» Elle commence par nous faire connaître ses origines, remontant loin dans le passé. Elle est «issue d'une famille, victime de l'Inquisition espagnole de 1492, à la suite de la chute du royaume de Grenade et de son dernier roi Bouabdil. L'Histoire garde la phrase de la reine mère, déçue par le revers amer de l'Infortune, s'adressant à son fils: "O mon fils! pleure comme une femme un royaume que tu n'as su tenir comme un homme!"» Elle raconte l'arrivée et l'installation difficile, mais cocasse, notamment de l'ancêtre et trop jaloux Mohamed El-Kébir, à Cherchell. Des aventures multiples, pleines de surprises joyeuses ou tristes, font suivre à sa famille et ses proches un cours maîtrisé par le seul destin qu'il est impossible de prévoir. Nous découvrons ce que veut dire «l'esprit de famille», l'éducation, la valeur du travail, le respect des ancêtres, le devoir de mémoire, le devoir de solidarité, l'amitié (symbolisée par Odile) dans les moments durs, l'enseignement des grands-parents (l'inénarrable Mao), la bonté des parents (Abderezak, l'agent de police, et Baya, la douce infirmière), les études scolaires entachées de ségrégation, la vie algéroise à Belcourt, à la Casbah. «Mon esprit, dit-elle, un jour, est à la Casbah, chez mes grands-parents, chez eux, j'existe». Et puis c'est le Premier novembre 1954, Les paras, La clandestinité, Les fusillés, La bataille d'Alger, La clandestinité, La singerie de Sidi Fredj, L'exil,...La France et ses grandes villes, et la route du destin: des rencontres, des amitiés françaises, et des déceptions de tous ordres. Enfin, le retour d'exil, la paix chez soi, et l'indépendance avec toute la triomphale dignité retrouvée.
Voilà une chute de récit qui ne manque pas d'humour: Un jour, notre ancien voisin, gendre de Mme G., sonne à la porte, il demande à voir mon père. «Monsieur, je viens vous faire la proposition de prendre en location la villa de ma belle-mère qui a quitté le pays l'année dernière.» [...] Quelques jours plus tard, papa et maman sont sur le balcon, elle le prend par le bras, ils regardent ensemble la baie d'Alger. «Baya, tu te souviens de ce que je te disais? Un jour j'habiterai en face, dans la villa de Mme G.Eh bien, c'est fait, nous déménageons. Tu vois, il suffit juste d'y croire!»
Le livre La Singerie de Sidi Fredj de Assia Sadoun Chaïb-Draâ dégage un charme émouvant par sa sincérité, la clarté de son écriture et l'humilité de l'auteur: «J'avais envie, confie-t-elle, que tous les enfants sachent à travers le langage d'une gamine ce que fut la guerre de libération. Je n'ai pas fait de la recherche de mots savants. J'use parfois de langage d'enfant.» Bravo, Madame Assia Sadoun Chaïb-Draâ, avec cette première oeuvre et en pédagogue avisée - puisque vous avez été professeur d'espagnol -, vous apportez de la fraîcheur à notre jeune littérature, tout en éloignant de nous, nous lecteurs sobres et quand même avertis, le vocabulaire aride du dictionnaire et incontestablement la phrase amphigourique dont se piquent quelques esprits prétentieux.
(*) LA SINGERIE DE SIDI FREDJ
de Assia Sadoun Chaïb-Draâ
Editions Alpha, Alger, 2008, 170 pages.


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