Les Algériens vivant à l'étranger sont une partie vitale de la nation. Les voyages forment la jeunesse et la circulation des personnes et des cultures est une loi naturelle de la vie. On ne quitte jamais son pays par plaisir, mais généralement par nécessité économique, et scientifique, trouver du travail ou étudier, ou parfois selon des circonstances sécuritaires ou politiques. Des centaines de milliers d'Algériens vivent à l'étranger. Le plus grand nombre réside en France. Depuis l'invasion par les troupes françaises, en 1830, qui rencontra une farouche et héroïque résistance, jusqu'à la guerre en 1954, puis l'indépendance en 1962, suite à la prestigieuse lutte de Libération nationale et aux accords d'Evian, la vie des deux nations est liée. Le lien est aujourd'hui la communauté algérienne qui vit en rive Nord. Elle a une histoire et une évolution qui nécessitent un regard attentif. Les Algériens vivant à l'étranger sont une partie vitale de la nation. Dans un monde de mutations, de désordre et d'incompréhensions, on ne peut que se souvenir de leur passé et penser avec eux leur avenir. L'histoire de l'exil Sur le plan de l'histoire, la première phase de l'immigration algérienne en France débute au début du XXe siècle. La main- d'oeuvre algérienne travaille de manière exemplaire. Des centaines de travailleurs algériens sont embauchés dans les mines et les usines. Avant la première guerre mondiale, on parle d'un mouvement migratoire d'environ 5000 Algériens. Des intellectuels algériens s'installent aussi périodiquement en France. La construction de la Mosquée de Paris marque un nouveau départ symbolique de la présence musulmane. Dans le nord de la France, environ 1500 Algériens travaillent dans les mines. En région parisienne, ils travaillent dans le bâtiment et les travaux publics, les industries chimiques, les chemins de fer et le métro. Ils s'installent dans les villes et se regroupent dans certains quartiers. Le mouvement migratoire s'accélère du fait de la suppression du permis de voyage qui était alors requis pour les Algériens et l'on compte en 1920 plus de 10.000 Algériens en France. Lors de la première guerre mondiale, la France fait appel aux travailleurs et aux soldats de l'empire colonial. Ceux qui ne sont pas sur le front sont employés dans les secteurs vitaux à l'effort de guerre. La participation des travailleurs algériens à cet effort est substantielle, plutôt reconnue et ils jouissent de la sympathie des Français. À cette époque, les fêtes musulmanes sont célébrées en France, une certaine tolérance s'installe et l'on assiste à de nombreux mariages mixtes. Après 1920, l'immigration reprend, la France, victorieuse mais ruinée par la guerre, est en partie détruite. Elle fait à nouveau appel aux travailleurs des colonies. On assiste à une immigration massive qui fuit la violence coloniale. C'est aussi durant cette période que renaissent les mouvements nationalistes, progressistes et anti-impérialistes au sein de la communauté algérienne immigrée. Durant la Seconde Guerre mondiale, «les Nord-Africains» forment le gros de l'armée d'Afrique. Cette armée est engagée en Tunisie, en Italie puis lors de la bataille de France. Cependant, le régime politique français refuse aux Algériens leur liberté et même le droit d'élire librement une assemblée constituante. Après 1945, le flux migratoire reprend, les Algériens occupent des emplois dans les domaines qui permettent la reconstruction de la France et la relance économique, comme les mines et la sidérurgie, mais aussi l'industrie et la construction de nouvelles infrastructures. Aprés 1947 et les massacres de Sétif et de Guelma, le blocage politique, les Algériens deviennent des «franco-musulmans» et renforcent politiquement leur organisation aussi bien en France qu'en Algérie. L''immigration algérienne en France a pour origine et les besoins économiques de la France et la pauvreté des Algériens de par le système colonial inique et prédateur. Le déclenchement de la lutte de Libération nationale cristallise le sentiment patriotique. Le Front de libération nationale (FLN) est fortement soutenu par l'émigration qui paye le prix fort, notamment lors des manifestations du 17 Octobre 1961. Les accords d'Evian mettent un terme à la guerre d'Algérie et entérinent la libre circulation entre l'Algérie et la France des ressortissants des deux pays. La France se tourne vers l'Europe et l'industrialisation qui requiert toujours plus de travailleurs, l'émigration est alors la seule ressource. L'émigration algérienne s'accentue durant 20 ans après 1962, au fur et à mesure que les chantiers s'ouvrent en France. Ce fut l'âge de l'émigration. Longtemps, les pouvoirs publics français font l'analyse que l'immigration constitue un facteur ambivalent, positif pour l'économie, un «risque» pour la culture. Des décennies durant, la population migrante fut isolée du reste de la population française. Lui a été fermé l'accès aux voies par lesquelles les étrangers s'insèrent dans la société française. Les Algériens, et leur enfants pétris par le sens de la dignité, résistent, étudient, travaillent, pour sortir des ghettos. Leur immigration gagne en qualité et prouve son aptitude à s'adapter, malgré les discriminations. Le chômage est double ou triple dans les quartiers défavorisés. Mais l'immigration devient diverse, elle prouve sa capacité à se transformer, et à faire souche en France. Les années sombres des années 90 de la tragédie nationale suscitent un exode des élites, et la fuite des cerveaux continue même en notre temps de la stabilité retrouvée. Il est impérieux de relancer le dialogue, de rebâtir des ponts pour que toutes ces énergies inestimables gardent et renforcent le lien avec la mère patrie. Une nouvelle génération Aujourd'hui, les Algériens résidents en France sont majoritairement nés en rive Nord et ne ressemblent plus à leurs grands-parents ou parents. La moitié d'entre eux est de double culture et double appartenance citoyenne. L'immigration a évolué, s'est battue pour l'égalité et ses droits sociaux et civiques. Les immigrés algériens en France constituent une population qui rencontre des difficultés particulières en matière d'intégration à la société française, mais elle enregistre aussi des réussites réelles. Elle représente une source de richesse et un dynamisme qui méritent le respect. On doit changer notre regard à son sujet. Elle suit une voie à la fois commune et différente de celle qu'ont suivie les autres immigrés européens depuis que la France est devenue un pays d'immigration de masse, vers le milieu du XIXe siècle. L'histoire de la décolonisation explique en partie les difficultés, mais aussi les impasses de la société française dominante, et, malgré une bonne volonté, de l'action des autorités algériennes, des insuffisances, notamment depuis la «disparition» de l'Amicale des Algériens en Europe. Les perspectives aujourd'hui sont plutôt prometteuses, car il y a une prise de conscience, pour rattraper le retard, et les élites algériennes à l'étranger ont soif de liens pour contribuer au développement de leur pays d'origine. Des milliers de médecins, de managers, de chercheurs installés à l'étranger souhaitent mettre à la disposition de l'Algérie leur savoir-faire. Cependant, ils constatent que les canaux et les cadres adéquats pour la synergie manquent, même si l'appareil diplomatique algérien effectue un travail admirable, efficient et novateur pour compenser cette absence. Un caractère démocratique caractérise la relation entre les consulats et la communauté, contrairement à d'autres pays similaires. Le projet de création d'un Conseil National Consultatif de la Communauté est attendu avec espoir et inquiétude vu les actions passées qui n'ont pas abouti. C'est la base qui doit s'organiser, choisir et élire démocratiquement ses représentants. Dans plusieurs régions de France de nombreuses actions civiques et associatives existent et sont une fierté. Les Algériens de la communauté nationale sont souvent engagés et actifs pour le bien commun du pays d'accueil et d'origine. Ils ont un sens aigu de la solidarité et commencent à former des réseaux performants. La question de l'identité, du cultuel et du culturel, en somme de l'algérianité et du lien avec le pays, se posera de plus en plus. C'est une expérience humaine difficile, sensible et passionnante que celle de la communauté à l'étranger. Les efforts de tous doivent êtres canalisés et orientés en vue de répondre aux besoins des nouvelles générations qui ne se considèrent plus comme des «émigrés» mais comme des «citoyens» soucieux de vivre de manière ouverte et équilibrée leur singularité. Que veulent les Algériens résidents ailleurs? Rester en contact et solidaires, eux et leurs enfants, avec leur pays qu'ils aiment. Cependant, sur le plan pratique, le prix exorbitant du transport aérien durant l'été, freine la majorité des familles. Il est urgent de trouver une solution. Le bon accueil aux ports et aéroports est aussi une revendication récurrente. Le projet d'ouverture de banques algériennes en France est une excellente décision qui tissera le lien des épargnants et des opérateurs économiques avec l'Algérie. Il serait utile aussi de construire des centres de vacances pour ces catégories de citoyens. Sur le plan culturel, l'ouverture d'écoles, de centres culturels, l'enseignement de la langue arabe et l'apprentissage des arts algériens donnera le gout et la passion de la patrie aux enfants de nos concitoyens de l'exil. Reste que nos compatriotes à l'étranger doivent s'organiser, notamment selon leurs catégories socioprofessionnelles, afin de consolider les liens et favoriser les espaces de dialogue. Plus on bâtira un Etat de droit, plus on verra les élites et les citoyens algériens du dedans et du dehors s'impliquer dans la vie du pays. Le respect de la pluralité des opinions, le sens du vivre ensemble, l'amour de la patrie ne sont pas des mirages, si tout un chacun s'implique et se transforme en trait d'union. Rien de durable et de cohérent ne pourra se faire sans partage. L'Algérie a besoin de tous ses enfants. (*) Professeur en relations internationales www.mustapha-cherif.net