Hostile à la présence de la presse, un chef de centre de vote fait preuve d'un excès de zèle à la limite de l'irrespect. Alger, le mois d'avril entame son neuvième jour. C'est l'élection présidentielle. Juste quelques averses et le soleil réapparaît. Les rayons dorés répandent sur les artères d'Alger le regard d'Albert Camus. Le pas suit les traces de L'Etranger le long du boulevard Mohammed VI. Nous sommes à l'école Mohamed-Berkani qui, pour la circonstance, retrouve son statut de centre de vote. «C'est ici que le candidat Ali Fawzi Rebaïne viendra accomplir son devoir», nous assure-t-on. L'attente aiguise les plumes des journalistes à l'affût de la moindre information. Les chuchotements entre les représentants de la presse bercent la quiétude qui règne sur les lieux. Soudain, une voix s'élève. C'est celle de Menouar Boubekeur, un vieux s'apprêtant à vivre le 82e printemps d'une vie menée cahin caha. «Je viens accomplir mon devoir de citoyen et vous me dites que je ne suis pas porté sur la liste électorale!», s'étonne-t-il devant le chef du centre. Ce dernier lui explique que «lors d'une réunion, le secrétaire général de l'APC d'Alger-Centre nous a donné instruction de signaler les cas de citoyens non portés sur les listes issues du dernier remaniement électoral». A cette explication, l'étonnement de M.Boubekeur se mue en une colère qui explose en ces termes: «Je suis un grand invalide de la guerre de Libération nationale. Ce statut m'a été reconnu par décret présidentiel. Aujourd'hui, je viens exprimer mon choix par le biais de l'urne et, par faute d'une erreur technique, je suis empêché de le faire! Ceci est une atteinte au libre choix.» Boubekeur décline sa pièce d'identité et son ancienne carte de vote devant les présents comme pour les prendre à témoin devant cette situation incongrue. Réprimant sa colère, le vieux rebrousse chemin en traînant derrière lui l'histoire d'un ancien combattant et les regrets d'un citoyen. A la sortie du centre, une femme affiche une tête médusée. «On vient de m'annoncer que je ne figure pas sur la liste électorale», s'exclama-t-elle. Décidément, la liste électorale a fait peau neuve au centre de vote Mohamed-Berkani. Quelques minutes après, des voitures arrivent. Caméras, micros, flashs, tout l'arsenal médiatique est braqué sur l'entrée de l'école. Ali Fawzi Rebaïne vient d'arriver. Une déclaration s'il vous plait? Le candidat de AHD 54 se mure dans un silence olympien. Néanmoins, Aïssa Belmekki, le directeur de campagne du candidat, nous invite à un point de presse au siège de AHD 54 sis place Audin. «Les résultats sont prévisibles dans le sens où les jeux sont faits d'avance!», assène le sercretaire chargé de l'information et de la communication au niveau de la formation politique de Ali Fawzi Rébaïne. Au terme de son exposé, Aïssa Belmekki invite la presse à la conférence que compte organiser Ali Fawzi Rebaïne, aujourd'hui au Centre international de presse (CIP). Le soleil nous invite à une virée dans la banlieue. Direction Bab Ezzouar. Nous arrivons à proximité de l'entrée principale du «plus grand campus universitaire d'Afrique». A quelques mètres de l'entrée, des jeunes s'adonnent à une partie de dominos. L'un d'eux jubile. «J'ai tué le double-six dans ta main», se gausse le petit malin de l'un de ses amis. La partie reprend. L'opération électorale continue, toujours...Nous arrivons au centre de vote Smaïl-Yefsah, réservé aux femmes. Dans les environs, les lieux pleurent, encore, la plume brisée et la voix réduite au silence du «poète dans l'âme». Sur les murs de ces bâtisses est écrite une page douloureuse de l'histoire récente de la presse algérienne. Ce témoignage est maculé du sang de «l'empêcheur de tourner en rond», happé aux siens par «les loups qui habitent la nuit». De la blessure du passé nous passons à la stupéfaction du présent. «Quand je tiens un papier de journal, c'est pour essuyer une glace.» C'est avec ces propos que nous reçoit le chef du centre. L'hostilité de ce dernier nous montre tout le respect qu'il porte à une corporation qui a payé un lourd tribut pour que le droit des citoyens à l'information soit une réalité irréversible. Après insistance, le chef du centre nous laisse entrer tout en prenant le soin de nous faire accompagner par «un employé pour la circonstance». Dans les bureaux de vote, l'ambiance est sereine. «L'opération se déroule dans les conditions requises», a assuré M.A. président de bureau. Même son de cloche chez sa collègue C.K laquelle toutefois, a précisé: «Le taux de participation de cette élection est supérieur à celui enregistré durant les échéances précédentes.» Trois femmes viennent de voter. Nous sollicitons leur témoignage. Elles refusent. Décidément, il leur est aussi facile de s'exprimer par l'urne que de le faire à travers la presse. Le paradoxe est frappant.