L'un des dossiers les plus cruciaux auxquels devra s'atteler le président de la République est celui de la sécurité alimentaire. Bien des débats ont été engagés autour de ce sujet. Il serait temps de passer à l'action. La baisse de nos recettes pétrolières réduit la marge de manoeuvre qui consistait jusque-là à importer pour combler le déficit de notre propre production. L'effacement des dettes de nos agriculteurs et les diverses mesures de facilitations prises comme pour les équipements, les engrais, la semence et autres, sont autant de moyens pour doper la production. Nous croyons savoir également que des projets de culture intensive de céréales sont très avancés. Des projets intégrés à l'agro-industrie. Sauf que même une surproduction ne peut à elle seule régler le problème d'approvisionnement et de régulation de marché. Comme pour la pluie qui serait de peu d'utilité sans les barrages, la sécurité alimentaire dépend aussi des capacités de stockage, de distribution et d'organisation commerciale. Or, sur ce plan, ce qui se passe aujourd'hui sur le marché des fruits et légumes et sur celui de poisson incite à prendre les devants en aval de la production. Il est moins étonnant que des spéculateurs aient profité du déroulement de l'élection présidentielle et de son importance dans la vie du pays pour agir à leur guise sur le marché et faire flamber les prix, que l'absence de réaction des autorités publiques en charge de la régulation. Fruits et légumes, sardines et autres denrées ont joué de rivalité dans une valse des prix à donner le vertige aux consommateurs. On avait même la désagréable impression que les spéculateurs ont trouvé le terrain si libre qu'ils auraient eu tort de ne pas en profiter. Que ce soit en termes de stockage, de distribution, de mercuriale, c'est à l'Etat que revient la charge de dresser les balises par la prévention, l'organisation, la réglementation et la répression. Rien de tout cela. Et cela n'est pas nouveau et ne date malheureusement pas d'hier. En réalité, les pénuries cycliques et les ruptures font partie de notre commerce depuis toujours. Depuis des décennies, depuis l'ère de l'économie administrée à celle de l'économie de marché d'aujourd'hui, le phénomène reste toujours présent. Qui ne se rappelle des fameuses pénuries de pain, d'oignon, de farine, etc. à l'époque du parti unique et de ses souks el fellah? Qui ne se rappelle du Programme antipénurie (le fameux PAP) des années 80? De tout temps et à toute époque, les consommateurs algériens n'ont cessé d'être ballottés par les bureaucrates et ensuite par des commerçants qui ont mis à mal et le porte-monnaie et les nerfs des consommateurs. La longévité d'un tel fléau n'est pas sans causes. La première de celles-ci est à chercher dans l'incapacité des structures de l'Etat, serions-nous tentés d'avancer. Cela aurait été moins grave dans la mesure où depuis l'Indépendance et jusqu'à l'ouverture du marché, un secrétariat à la Planification a été de tous les gouvernements successifs. Son rôle était d'agir en amont sur les besoins de la population. Par les statistiques, par le suivi du développement démographique, par la répartition géographique des besoins, par l'élaboration d'un programme de stockage, enfin, il était chargé de planifier. Ce qui ne veut rien dire d'autre que de mettre en corrélation l'offre et la demande. Rien de tout cela et très peu savaient qu'une telle structure existait au sein du gouvernement tant elle se faisait discrète. C'était, rappelons-le, à l'époque du parti unique. A l'ouverture du marché, à la fin des années 80, la planification avait disparu des tablettes des gouvernements qui ont suivi. Sans regrets puisque, avec ou sans, les pénuries perduraient. Mais là où le bat blesse c'est qu'à l'économie de marché décrétée et la valorisation de sa terrible équation des prix qui résultent de la seule loi de l'offre et de la demande, rien n'a été entrepris pour leur équilibre. Devant l'absence de prévisions mathématiques faites de courbes démographiques et de courbes de production et d'une vision claire d'un circuit de distribution bien huilé en mesure de juguler la valse des prix, les spéculateurs ont eu tout le loisir d'imposer leur «loi». Ils continuent à ce jour. Où sont passés notre ministre du Commerce et celui de la Pêche? Qui les a aperçus ces dernières semaines? Où sont-ils passés pendant que nos couffins sont malmenés au marché? Il est temps que ce genre de comportements cesse. Il est temps que les responsabilités soient assumées. Il est indécent pour un responsable de voir ses concitoyens se débattre seuls face à des personnages sans scrupules qui les dévalisent avec le sourire en coin. Plus grave que cette indécence, c'est l'autorité de l'Etat qui est bafouée. Une absence de l'autorité de l'Etat aux conséquences sociales désastreuses. Que ce soit pour la pomme de terre, pour le lait ou pour la tomate, c'est le même problème à résoudre, celui de l'organisation. Une organisation qui peut paraître complexe pour le profane mais qui, pour l'expert, est en réalité très simple. La véritable pénurie est malheureusement là. C'est l'expertise qui manque le plus. L'expertise, pas les experts car eux existent. Il faut seulement ne pas se tromper en confiant des responsabilités à ceux qui ne le sont pas. Les coupables sont à chercher là et non pas dans la navette entre le producteur et le détaillant où usent inutilement leurs semelles ceux qui veulent enquêter sur les véritables causes. En attendant d'avoir les responsables qu'il faut pour chaque secteur, nous continuerons d'aller au marché sans pouvoir en faire le tour. Aux premières tables, le porte-monnaie se vide. Le tout en maugréant contre l'Etat. C'est ainsi que le fossé se creuse.