Le manque flagrant de traducteurs juridiques ne fera «qu'étrangler» la justice qui est déjà submergée par des affaires en instance. Manque de planification ou politique mal étudiée? L'arabisation des documents juridiques entrée en vigueur la semaine dernière, ne cesse de soulever quelques interrogations. Il ne s'agit pas de l'action d'arabisation en elle-même, mais de la véritable mise en oeuvre de cette politique. Une fois de plus, la justice risque de se retrouver avec des centaines de milliers de dossiers en instance, à cause de cette politique. La nouvelle procédure exige du «le justiciable» de présenter, désormais, à la justice des documents écrits en langue arabe. Le nouveau Code de procédure civile et administrative, entré en vigueur depuis samedi dernier, fait obligation aux magistrats et cadres du secteur d'utiliser la langue arabe dans l'accomplissement de leurs missions. La justice refuse, ainsi, toute pièce à conviction écrite dans une langue autre que l'arabe. Autrement dit, les nouvelles procédures obligent toute personne possédant des documents en français d'avoir recours aux traducteurs. C'est à ce niveau que la problématique se pose. Actuellement, seuls 80 traducteurs exercent au niveau des différentes juridictions. Sans être expert ni spécialiste, ce nombre, très limité, de traducteurs suffira-t-il pour couvrir le besoin national en matière de traduction des documents juridiques? Conscient de ce déficit, le ministère de la Justice vient d'annoncer l'ouverture d'un concours national de recrutement de nouveaux traducteurs en juin prochain. Ce même département envisage d'atteindre le nombre de 250 traducteurs. Cela pour assurer «une meilleure» prise en charge de la traduction des documents juridiques. Le problème sera-t-il résolu? 250 traducteurs pourraient-ils combler ce déficit? La réponse ne peut être que négative. Il suffit juste d'évoquer la répartition géographique des traducteurs sur le territoire national. Un bon nombre de wilayas ne disposent pas, à ce jour, de traducteur assermenté. C'est le cas des régions du Sud. Dans cette situation, les citoyens seront obligés de se déplacer dans les wilayas qui disposent de traducteurs. En attendant de traduire les documents nécessaires, c'est la justice qui se retrouvera encore étranglée - déjà submergée par des dossiers non traités - avec d'autres affaires dont le traitement sera renvoyé à une date ultérieure. Cette situation vient témoigner d'un manque flagrant de coordination entre les différentes institutions de l'Etat. Il aurait fallu bien inclure cette problématique depuis le début de l'élaboration de cette nouvelle procédure. Car, la réflexion portant sur la réforme du Code de procédure civile et administrative a été dégagée juste après l'arrivée au pouvoir en 1999 du Président Abdelaziz Bouteflika. Dès lors, une commission nationale chargée de cette mission a été installée. Huit ans après, le nouveau code a été soumis au gouvernement et au Parlement six mois après, avant sa mise en oeuvre. Ne serait-il pas plus judicieux de se consacrer à la formation d'un nombre nécessaire de traducteurs pour mieux répondre au besoin national en la matière tout au long de cette décennie? Si cette action avait été menée, on aurait évité de tomber dans ce déficit. A souligner également que les traducteurs dont dispose le ministère de la Justice ne sont pas spécialisés dans la traduction juridique. La faculté d'interprétariat et de traduction d'Alger n'assure pas des formations spécialisées. Mieux encore, aucun module de traduction juridique n'est inclus dans le programme de formation des étudiants de cette faculté. Faut-il attendre, alors, une autre décennie pour former des traducteurs spécialisés en nombre suffisant pour garantir la réussite et la véritable mise en application de cette politique d'arabisation des documents juridiques? La question mérite d'être posée, tant que la planification et la coordination font encore défaut.