Chaque membre du gouvernement a sa propre conception sur la commémoration de l'histoire de l'Algérie. A chaque commémoration des dates-clés de notre Histoire, la Télévision nationale diffuse des films sur la Révolution: La Bataille d'Alger, L'Opium et le bâton Patrouille à l'Est ou encore Chronique des années de braise. Des oeuvres surexploitées qui reviennent à chaque fois et qui posent souvent le problème des droits qui ne sont pas payés à leurs auteurs. Et devant l'absence de nouvelles productions cinématographiques sur le thème de la Révolution, quelques ministères consacrent leur budget au financement des nouvelles oeuvres audiovisuelles et cinématographiques sur l'histoire de l'Algérie, comme ce fut le cas du temps du président Boumediene. Et sur ce plan, trois départements se font une concurrence féroce pour financer des projets et surtout acquérir la paternité: le département des Moudjahiddine, de la Culture et celui de la Communication. Sur le terrain, la concurrence est déjà lancée: jeudi dernier, pour commémorer les événements du 8 Mai 45, le ministère de la Culture faisait un événement à la salle El Mougar avec la présentation du documentaire de Yasmina Adi, L'autre 8 Mai 45, un documentaire qui ne semble pas attirer l'attention du ministère des Moudjahidine qui a décidé de programmer en même temps au Palais de la culture de Kouba, le film Benboulaïd de Ahmed Rachedi. Il faut reconnaître que chaque membre du gouvernement a sa propre conception de la commémoration de l'histoire de l'Algérie. D'un côté, le ministre des Moudjahidine qui ne reconnaît aucun travail artistique et littéraire rédigé par les Français ou des Algéro-Francais sur la guerre d'Algérie et soutient plutôt des productions réalisées par des auteurs algériens avec 100% de la participation de l'Etat, comme les documentaires de Fateh Ayadi et le film d'Ahmed Rachedi Benboulaïd. D'un autre côté, la ministre de la Culture, Khalida Toumi, qui est partisane de tout travail de recherche ou artistique venant d'Algérie, installée en Algérie ou en France, soutenant des documentaires sur le 8 Mai 45 de Mériem Hamidat et de Yasmina Adi, les documentaires sur les essais nucléaires français en Algérie réalisés par Larbi Benchiha et.....ou encore la superproduction de Rachid Bouchareb sur les événements du 8 Mai 45. Enfin, le secrétariat à la Communication dirigé par Azzedine Mihoubi, qui participe lui-même à l'écriture des scénarios sur le parcours des martyrs de la Révolution Ben M'hidi et Zabana, et qui reste partisan de la participation exclusive de l'Entv dans cette réalisation des oeuvres sur la Révolution algérienne. La conception de la promotion de l'histoire nationale de Mme Toumi est peut-être plus universelle que celle prônée par le ministre des Moudjahidine puisqu'elle permet à des oeuvres algériennes majeures d'être diffusées à un niveau international dans les festivals ou les rencontres cinématographiques. Mais devant l'absence d'une politique claire pour le financement et souvent le désintéressement des autorités pour les créateurs algériens vivant à l'étranger, ils se retrouvent parfois perdus et certains se voient souvent obligés d'être produits par des Français, ce qui réduit considérablement leur liberté de ton et de respect de l'écriture sur l'histoire algérienne. C'est souvent le cas des historiens comme Mohamed Harbi ou encore Boualem Sensal dont la version historique des faits n'est pas souvent partagée par Alger. Les ministères en question ne disposent pas de conseillers et d'experts de l'histoire, comme c'est le cas en Europe ou aux Etats-Unis et qui leur conseillent le projet le plus intéressant à financer. Seul le ministère de la Culture a constitué une commission intellectuelle dirigée par la révolutionnaire Mme Drif Zohra, qui apporte son point de vue historique sur des projets en cours. Mais là encore le lobbying et les relations jouent beaucoup dans l'acceptation des projets car, mis à part le parcours de l'auteur, qui est considéré comme une véritable carte de visite, les ministères ne reçoivent qu'un synopsis et un devis sur les projets et parfois ne mettent pas de conditions pour refuser le projet en cas de non-conformité. L'épisode de Jean-Pierre liedo, qui avait présenté un projet historique sur la vie des trois communautés musulmanes juives et chrétiennes durant la guerre d'Algérie et qui a bénéficié d'un financement dans le cadre de la manifestation «Alger, capitale de culture arabe 2007», pour que finalement il ponde un produit qui évoque des massacres de pieds-noirs en 1962, est un bon exemple sur le manque de gestion et de contrôle sur les projets historiques soumis par leurs auteurs. Jamais un projet n'a été rejeté par le ministère ou par une institution, pour non-respect du contrat ou pour manque de qualité requise de l'oeuvre. On se contente seulement de financer l'oeuvre et de la mettre parfois au fond d'un tiroir si elle n'est pas conforme. Et sur le plan du financement, c'est le ministère des Moudjahidine qui dispose du plus gros budget pour financer les projets audiovisuels et cinématographiques sur l'histoire de l'Algérie. Il avait survolé tout le monde en finançant le film Benboulaïd de Ahmed Rachedi avec un apport de plus de 14 milliards de centimes. Mais après la sortie du film et les critiques qui ont suivies le ministre des Moudjahidine a décidé de récupérer le film du producteur privé et il en est devenu aujourd'hui le propriétaire et distributeur exclusif. La Télévision nationale, par le biais de sa tutelle, le Premier ministère et la Communication, dispose également d'un financement important pour suivre des projets. C'est ainsi qu'elle a contribué au financement d'un projet audiovisuel sur l'Equipe du FLN réalisé par Rachid Digeur. Alors que la ministre de la Culture a donné son accord pour le financement d'un important documentaire réalisé encore par un Franco-Algérien, Malik Aït Aouidia, sur la vie de Larbi Ben M'hidi Mais cette concurrence entre les différents secteurs du gouvernement sur le financement des oeuvres audiovisuelles et cinématographiques sur l'histoire de l'Algérie arrange bien certains réalisateurs qui ont des projets de grande envergure. C'est le cas de Rachid Bouchareb qui, fort du succès de son dernier film, a su profiter de l'apport du gouvernement algérien qui voulait réparer son erreur de jugement avec Indigènes quand le Maroc a récupéré le projet. Bouchareb a obtenu pour cela le soutien matériel et financier du ministère de la Culture, de la Télévision nationale, du ministère des Moudjahidine et même de la Défense pour réaliser son prochain film sur Le 8 Mai 45 et cela sur instruction de la présidence de la République. Bouchareb a promis d'être à la hauteur de cette confiance placée en lui par l'Algérie.