Ce manque à gagner est l'équivalent du budget de fonctionnement d'environ 300 communes les plus riches d'Algérie. Qui arrêtera la saignée que subit actuellement le Trésor public? La fraude fiscale est devenue un phénomène difficile à cerner à telle enseigne que l'Etat avec toutes ses structures est impuissant devant ce phénomène. «Chaque année, le Trésor public perd 200 milliards de dinars à cause de cette fraude constituant une saignée contre laquelle il faut agir d'une façon efficace», a déclaré hier, lors d'une conférence de presse animée aux Eucalyptus, Boulenouar El Hadj Tahar, responsable de la communication à l'Union générale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa). Ce chiffre astronomique, soit près de 3 milliards de dollars, vient contredire totalement les statistiques avancées par certaines institutions officielles qui ont estimé ces pertes à 70 milliards de DA uniquement. Ainsi, les caisses de l'Etat perdent annuellement l'équivalent du budget de 300 communes «riches» ou de 1000 communes ayant un budget, plus ou moins moyen. L'ampleur prise par ce phénomène ne menace pas uniquement l'économie nationale mais elle influe négativement sur le développement de l'ensemble de la sphère économique. En fait, la menace que représente la fraude fiscale s'explique par sa relation avec d'autres phénomènes. «Il existe une relation directe entre la fraude fiscale, le blanchiment d'argent, la drogue et le terrorisme qui donnent du fil à retordre aux experts en la matière», a expliqué le responsable de l'Ugcaa. Et à ce niveau, la problématique s'avère d'une extrême gravité puisque les réseaux du blanchiment d'argent, de la drogue et du terrorisme sont transnationaux. D'autres pays africains ou ceux relevant du Vieux Continent sont également frappés de plein fouet par cette saignée. En Afrique, la fraude fiscale a atteint des pics de 80% dans les transactions commerciales. Y a-t-il d'autres formes de manifestation de cette fraude en Algérie? Répondant à cette question, l'orateur a cité l'achat et la vente sans facture qui portent préjudice à l'économie nationale sous deux aspects. Il s'agit, d'une part,de la perte de la TVA prélevée par les commerçants et non reversée et de l'autre, de la concurrence déloyale qui se généralise. «80% des pratiques commerciales ne sont pas facturées», a souligné M.Boulenouar en guise d'argument. L'administration des impôts a aussi constaté une pratique particulière chez les commerçants. Ces derniers louent leurs registres du commerce à des commerçants fictifs, insaisissables par le fisc. Dans cette optique, le conférencier n'a pas hésité à avancer des statistiques, pour le moins inquiétantes. «10% des registres du commerce sont des faux registres tandis que d'autres se vendent dans des marchés», soutient M.Boulenouar sur sa lancée. Et de souligner avec rigueur que «de grandes quantités de marchandises sont remises à des acquéreurs avant même qu'elles ne quittent les ports». Si la fraude fiscale continue à faire des ravages, c'est également à cause de la multiplication des marchés informels. Ceux-ci entraînent des pertes considérables pour le fisc compte tenu de la masse importante des marchandises d'ordre commercial et des masses d'argent qui y circulent. D'autre part, il convient de souligner le danger que peut constituer un marché immobilier non transparent et spéculatif. Des transferts de revenus importants y ont lieu à l'occasion des mutations des biens immobiliers. Cette non-transparence est aggravée par les sous- déclarations systématiques aussi bien lors des ventes des biens immobiliers que lors des locations. Le danger est imminent, il frappe quotidiennement à nos portes. Y remédier est l'affaire de tout un chacun. Sur ce plan, l'Ugcaa a sa propre conception. M.Boulnouar appelle à la «création d'un organisme national relevant de la présidence de la République». Cette instance, faut-il le souligner, sera représentée par les ministères du Commerce, de la Justice, des Finances, de l'Intérieur et de l'Agriculture et toutes les institutions ayant pour mission la sauvegarde de l'économie nationale face à l'éventuel crime économique. La mise en place de cette organisation interministérielle permettra, selon notre interlocuteur, de revoir le code fiscal. A ce titre, il rappelle que «depuis le début de l'année en cours, le Trésor public a enregistré 120 milliards de recettes fiscales.» Cela dit, M.Boulenouar a plaidé «l'impératif de rendre obligatoire l'usage des chèques dans les transactions commerciales pour les opérateurs.»