Le ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, a révélé hier le contenu de la stratégie financière du pays durant la période 2005-2009. Il lui aura fallu près d'une demi-journée pour présenter les grands axes de cette stratégie dont l'objectif est de « mettre de l'ordre dans les affaires financières de l'Etat ». Le temps investi par Abdelatif Benachenhou, lors d'une conférence de presse animée au siège de son département, pour rendre compte de l'originalité de cette stratégie n'est pas à mettre sur le compte d'une coquetterie de ministre. La mise en place de cette stratégie devrait s'accompagner de nombreux changements dans la gestion des affaires financières de l'Etat. Compte tenu de l'importance de ces changements, le ministre a veillé à ce que son message soit appréhendé le plus clairement possible par les journalistes invités à sa conférence de presse. S'obligeant, donc, pendant la durée de sa prestation à un effort de pédagogie, M. Benachenhou a souligné que la décision du Président de doter le pays d'une stratégie financière à moyen terme consiste, en plus de mettre de l'ordre dans les affaires financières de l'Etat, à « permettre à l'Algérie de faire face à ses obligations internationales ». Pourquoi l'Etat a attendu 2004 pour définir une stratégie financière ? M. Benachenhou a répondu que la mise en œuvre d'une telle démarche n'était pas souhaitable durant les dernières années en raison des éléments d'instabilité (terrorisme et situation financière difficile, etc.). « Il est parfois complexe et inopportun de vouloir mettre de l'ordre dans les affaires financières de l'Etat. Grâce à Dieu, nous sommes sortis de ces années difficiles. Il est bon maintenant de se préoccuper de la remise en ordre des affaires financières de l'Etat », a-t-il indiqué. Répondant à l'obligation de résultat « pesant sur les épaules du président de la République », cette stratégie a, selon lui, pour but aussi d'organiser la prévisibilité et l'anticipation du pays. Elle se décline en quatre grands volets. Le premier consiste à améliorer les revenus de l'Etat de telle sorte à avoir d'autres ressources que celles fournies par les hydrocarbures. « Un Etat sérieux ne peut marcher sur une seule jambe », a dit le ministre. Selon lui, l'une des actions prévues portera sur la réorganisation de l'administration fiscale afin de la rendre efficace face au marché. Pour améliorer les rentrées d'argent de l'Etat, M. Benachenhou a insisté sur la nécessité de maîtriser le secteur informel. Avant d'en arriver là, il a préconisé le lancement d'une étude pour mieux connaître la réalité qui couvre ce phénomène. Valorisation du patrimoine Il s'est dit opposé à l'idée de lui livrer une bataille dès maintenant. Néanmoins, il a expliqué que le traitement des problèmes liés au secteur informel, qui concerne toutes les institutions de l'Etat, recommande d'abord de rendre les frontières imperméables. Le ministre a annoncé qu'il présentera bientôt un programme contenant une série de mesures devant permettre de cerner ce phénomène. L'autre mesure prévue pour améliorer les recettes de l'Etat se traduira par l'application « progressive mais ferme » d'une pression fiscale conforme à celle en usage dans la plupart des pays. Estimant que le pays a trop longtemps détenu le trophée de « champion du monde des exonérations fiscales », Abdelatif Benachenhou a expliqué que l'Etat perd chaque année 60 à 70 milliards de dinars en dépenses fiscales. Il a estimé que le moment est venu de songer à valoriser le patrimoine de l'Etat (logements, foncier, locaux commerciaux). Car s'il reste en l'état, celui-ci risque d'être dilapidé, a-t-il soutenu. La vente d'une partie du domaine privé de l'Etat (580 000 logements sociaux et 30 000 locaux commerciaux) permettra, a-t-il indiqué, d'engranger une recette de 250 milliards de dinars durant les cinq prochaines années. Quid des entreprises publiques ? Il a soutenu qu'à l'exception de Sonatrach et de la Banque d'Algérie, celles-ci « ne rapportent presque rien ». Rappelant que « l'Algérie a gardé la fâcheuse habitude de se considérer comme un pays riche, alors qu'elle est pauvre », Benachenhou a soutenu que « l'Etat doit cesser de dépenser là où les autres peuvent le faire à sa place ». Selon lui, la remarque est valable pour la question du logement qui ne doit plus être à la charge exclusive de l'Etat. Il a annoncé une réduction, à l'avenir, de la part du logement social dans la politique de logement. « L'Etat n'est pas là pour loger les Algériens mais pour les aider à le faire », a-t-il déclaré. Selon lui, c'est sur l'épargne des citoyens que doit s'effectuer le financement des logements. Il ne faudra pas trop compter aussi sur l'Etat, a indiqué M. Benachenhou, dans le financement coûteux des grands projets comme les autoroutes. Transparence budgétaire Si l'Etat reste engagé dans la réalisation du tronçon centre de l'autoroute Est-Ouest, il n'en sera pas de même pour le reste, a ajouté le ministre. Précisant que l'Etat a déjà trop à faire pour construire des écoles et que les autoroutes doivent être payantes et réalisées par des privés, il a rappelé qu'un kilomètre d'autoroute coûte en moyenne entre 3 et 10 millions de dollars, « ce qui représente l'équivalent de 8 lycées de 1000 places chacun ». En plus d'entraîner une reconfiguration de la dépense publique, la stratégie financière de l'Algérie pour la période 2005-2009 recommande aussi l'élaboration d'une nouvelle politique salariale. S'il est prévu des augmentations salariales au profit des fonctionnaires des institutions « tenues par des obligations de résultat », l'Etat prévoit de revoir le système des indexations pour rendre moins pesant sur son budget de fonctionnement le poids des salaires. Pour Benachenhou, il n'est plus possible d'accepter que les revenus continuent d'augmenter plus vite que la richesse nationale. Le poids des salaires représente 50% du budget de fonctionnement de l'Etat qui est de 600 milliards de dinars. Révélant, dans ce cadre, une grande prédominance des dépenses sociales de l'Etat au détriment des dépenses économiques, le ministre a mentionné qu'il est nécessaire de songer à équilibrer ce rapport. Insistant sur l'importance du rôle de la justice dans le développement d'un pays, le ministre a indiqué que le renforcement de la transparence budgétaire constituera un des volets phares de la stratégie financière de l'Etat. Selon lui, le devoir de transparence et le respect des règles de bonne gouvernance sont une condition pour gagner la confiance des institutions internationales qui « de toutes les manières savent déjà tout de nous ». M. Benachenhou a souligné que le projet du gouvernement consiste à présenter, dès cette année, une loi de finances fonctionnelle qui devrait permettre à la nation de « connaître exactement l'usage qui est fait de son argent ». Il s'agira également, a-t-il précisé, de porter à la connaissance du public le contenu des fonds de l'Etat et de renouer avec la publication des lois de règlements budgétaires. Le ministre a annoncé qu'il n'y aura pas de loi de finances complémentaire 2004. Benachenhou a expliqué que « la maîtrise des finances de l'Etat passe inévitablement par une amélioration de la gestion de la dette publique qui est de l'ordre de 31,4 milliards de dollars ». Près de 80% de cette dette concernent le découvert des entreprises publiques aujourd'hui à la charge du Trésor public. Généré par l'assainissement des entreprises, le poids de ce découvert était jusque-là assumé par les banques publiques. « L'Etat a dû se décharger de ce fardeau qui constituait un obstacle à la réforme bancaire et à l'ouverture du capital des banques », selon l'officiel. D'après lui, les partenaires étrangers sont suspicieux à l'égard des « créances douteuses ». Pour rendre plus supportable cette dette publique, l'Etat a procédé à son démembrement partiel (près de 555 milliards de dinars). Cette opération a permis de réduire les taux d'intérêt de 6 à 4%. Les efforts se concentrent aussi sur la réduction des taux d'intérêt de la dette extérieure, situés actuellement entre 8,5 et 11%. Les accords obtenus avec certains pays doivent attendre cependant l'aval du Club de Paris (dette publique).