«De cet algérien réduit à merci, il n'y avait plus grand-chose à connaître, donc chacun pouvait tout en dire. Inutile d'approfondir.» C'était ce que pouvaient écrire «en toute conscience» les anthropologues français Lucas et Vatin dans leur ouvrage L'Algérie des anthropologues réédité chez Maspéro, Paris, en 1975. Et l'idée de Chikh Bouamrane et Mohammed Djidjelli, de rassembler un grand nombre de textes extraits d'oeuvres connues, peu connues ou méconnues, afin de les présenter «à tous ceux qui s'intéressent à la période coloniale de notre histoire» mérite de retenir largement notre attention. En effet, sous le titre L'Algérie coloniale par les textes (1830-1962) (*), ces deux éminents pédagogues, nous livrent, avec perspicacité, des lectures impeccablement empruntées et pesées, chacune précédée d'un court et utile commentaire qui porte sur la manière de nous en servir; des notes en bas de page apportent des clarifications attendues. Par ainsi, Cheikh Bouamrane et Djidjelli ne manquent pas de nous rappeler la subtile réflexion de Henry de Montherlant prêtée à son personnage Alvaro dans Le Maître de Santiago (1947), disant: «Les colonies sont faites pour être perdues. Elles naissent avec la croix de mort sur le front.» Le choix des textes proposés visent à rétablir les faits historiques dans leur exactitude et leur complexité, préviennent les auteurs de L'Algérie coloniale par les textes (1830-1962), sans vouloir mettre en accusation un peuple entier, mais bien plutôt le «parti colonial», comme l'appelle Charles-Robert Ageron; c'est le véritable responsable des méfaits de l'occupation. [...] Notre souhait est qu'ils [Les lecteurs] soient ainsi mieux armés pour comprendre cette partie de notre histoire, caractérisée par l'arbitraire total, celui de la «nuit coloniale». Cette précaution, encore une fois, d'insister sur l'objet véritable qui est de dénoncer les exactions perpétuelles du corps expéditionnaire - et donc de la colonisation et de toutes les formes de son système de gestion - ne concerne pas le peuple français. Cela a été dit et redit, - ce n'est pas un plat discours. Le poète Bachir Hadj Ali, entre autres hommes de culture algériens, a exprimé son profond respect du peuple français en écrivant: «Nous n'avons pas de haine pour le peuple français.» De même, il n'y pas eu durant toute la durée de l'occupation française en Algérie, ce que certains pouvoirs publics de France ont toujours désigné par «contempteurs» et par «campagnes de dénigrement», lorsque l'armée s'est rendue coupable des atrocités exercées sur le peuple algérien, déjà bien avant ce que l'on appelle désormais la guerre d'Algérie. Sans doute, on pourrait discuter de ce choix de textes - il n'est pas question ici d'anthologie, car on sait ce que vaut une anthologie. Néanmoins, il nous est donné une vision assez claire de ce que fut l'Algérie coloniale. Au reste, le titre de chaque chapitre annonce, sans jamais s'en écarter, à la fois le centre d'intérêt qui a préoccupé les auteurs et les faits détaillés développés qui ont marqué bien des domaines de la vie de notre nation. Il suffit de parcourir la table des matières pour apprécier ce qu'il a fallu de temps et de patience pour faire une collecte aussi «riche et variée» dans les nombreux documents consultés et répertoriés à partir de thèmes significatifs de l'histoire de la colonisation de l'Algérie. On entre dans cette partie de l'histoire de notre pays en se rendant immédiatement compte que «la conquête s'est faite par la force, accompagnée d'exactions, d'abus et de massacres prémédités. Le mythe de nous apporter "la civilisation" ne tenait pas; le but était de former une colonie de peuplement européen et de s'emparer des richesses du pays. Le système politique imposé aux habitants autochtones est celui de "l'apartheid" maintenant bien connu. Le pouvoir appartient à la minorité composée de militaires. [...] Comment se justifie un tel régime? Il prétend que les races "supérieures" doivent gouverner les races "inférieures". Cette théorie absurde est défendue par des écrivains et des politiques importants comme Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Jules Ferry, Louis Bertrand et bien d'autres. Il convient donc d'apprivoiser "les barbares" que nous sommes, de les assimiler par l'école.» La conclusion de Chikh Bouamrane et Mohamed Djidjelli, quelque brève qu'elle soit, informe assez sur les intentions coloniales de la France et sur les véritables attitudes de certaines personnalités de la littérature française de l'époque dont pourtant nous n'ignorions pas le rôle, ou positif ou négatif, dont chacune d'elles n'a pas hésité à s'enorgueillir. En terminant, peut-être faudrait-il signaler que quelques pages auraient mérité, chez l'éditeur, une correction ou une révision plus soucieuse avant leur impression, mais étaient plus attendues, par le lecteur, quelques pages de fond débattant de façon plus percutante que les trop classiques et trop simples «Avertissement», «Introduction» et «Conclusion». C'est, à mon sens, ce qui a manqué dans la présente publication pour espérer pleinement avec nos auteurs confirmés que «les lecteurs tireront profit de ce travail et y trouveront matière à réflexion». (*) L'ALGERIE COLONIALE PAR LES TEXTES (1830-1962) de Chikh Bouamrane - Djidjelli Mohamed Editions ANEP, Alger, 2009, 360 pages.