Le secrétaire d'Etat chargé de la Défense et des Anciens combattants estime qu'«il faut que chacun balaie devant sa porte». Le film Indigènes a certes soulevé un émoi au sein de la classe politique française à sa sortie, il y a trois ans. Mais il n'a pas contribué à pousser la France à voir d'un oeil nouveau les 132 ans de sa présence coloniale en Algérie. De repentance, point donc. C'est ce qu'a réaffirmé, encore une fois, le secrétaire d'Etat chargé de la Défense et des Anciens combattants, Jean-Marie Bockel. Ce dernier a visité l'Algérie depuis quelques semaines pour dire la même chose. Mais, est-ce pour autant que la France est fermée à toute forme de débat sur son passé colonial? La réponse donnée par Bockel suggère une autre lecture. Il s'est effectivement déclaré, dans un entretien à Aujourd'hui en France, que son pays est prêt à épouser «toute démarche qui irait vers un partage de la mémoire et des responsabilités». Ce partage voudrait dire que la France ne tournerait pas totalement le dos à des gestes pour apaiser les souffrances des Algériens ayant subi les pires traitements de la part des forces d'occupation. La France reconnaît, au moins, par le biais de son secrétaire d'Etat, que les tortures sont inadmissibles. Et que dans ce cadre, «La France est prête à faire ce qui doit être fait». Quoi au juste? Le secrétaire d'Etat ne va pas plus loin. Et il ne livre aucun début de piste pour éclairer ses visions. Toutefois, il n'omet pas d'ajouter une phrase provocatrice. Il estime, en effet, qu'«il faut que chacun balaie devant sa porte». Il n'y a aucun besoin d'être un grand clerc pour comprendre que c'est là une allusion, à peine voilée, à des violences subies par les Français. Or, il est bon de rappeler qu'il y a une différence de taille entre un Mouvement de libération nationale qui utilise les armes - que peut-il utiliser d'autres? - pour mettre fin à une occupation coloniale et une armée coloniale qui maintient tout un peuple sous sa domination. La torture est ainsi assimilée par Bockel à des méfaits alors que ces actes font partie intégrante de la politique de l'armée française. Comme il est hors de question pour la France de pousser l'armée à reconnaître ces comportements pour garder son honneur sauf, la classe politique préfère imputer la responsabilité des tortures à des initiatives personnelles. C'est un bon moyen pour la France de dissocier reconnaissance et repentance. «On peut reconnaître des méfaits, des torts, sans verser dans la repentance», dit le secrétaire d'Etat. Cet Etat, au nom duquel il s'exprime, est prêt «à faire ce qui doit être fait», sauf la repentance. La position de l'Etat français se décline alors en des termes très clairs: «Il n'est pas question pour la France de basculer dans la repentance.» Voilà ce qui éloigne un peu plus la perspective d'identité de points de vue entre l'Algérie et la France sur ce dossier hérité de la colonisation. Mais pourrait-il vraiment y avoir une quelconque identité de points de vue entre les deux pays? L'Algérie ne compte rien céder sur sa demande de repentance et la France fait tout pour se départir de ce devoir. Cette année sera celle de la visite du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, en France et toute la pression de diverses parties n'a pas encore abouti pour que la France accède à cette demande. Il faut s'attendre alors à ce que cette revendication soit relayée avec plus de force dans les prochaines semaines. Il y a quelques mois, le président du Conseil national économique et social, Mohamed Seghir Babès, avait déjà donné le ton en indiquant que ce dossier ne peut être occulté sous aucun prétexte. Il est aisé de comprendre que cette question est suivie avec beaucoup d'intérêt au plus haut niveau de l'Etat et ce n'est pas seulement un thème qui épouse l'actualité. D'ailleurs, il n'y a pas que la période couvrant la guerre de Libération qui est concernée par les demandes de l'Algérie. Ces dernières embrassent aussi les événements du 8 Mai 1945.