à compter du 1er janvier prochain, les anciens combattants algériens recevront les mêmes pensions que leurs compagnons français. Le film Indigènes, sorti, hier en France, est non seulement une création artistique réussie mais c'est surtout un hommage, visant à faire sortir de l'oubli le rôle dans la libération de la France en 1945 de dizaines de milliers de soldats d'Afrique noire et du Maghreb. Un film qui culpabilise la France, qui a attendu 47 ans pour reconnaître le sacrifice de ces centaines de milliers de tirailleurs, venus malgré eux défendre un pays qui n'était pas le leur. «C'est l'histoire de tirailleurs qui se sont battus pour la mère patrie et qui, le jour de la victoire, n'ont pas eu le droit de défiler sur les Champs Elysées», affirme son réalisateur, Rachid Bouchareb. L'ingratitude n'a pas de limites. D'ailleurs, la concrétisation de ce film n'a été possible qu'après une rude bataille, livrée par son réalisateur, soutenu par des patrons et des hommes politiques, jusqu'au perron de l'Elysée. Bouchareb a tarabusté plusieurs chefs de cabinet et de responsables de l'Etat français, pour enfin obtenir le sésame de lancer son projet. Indigènes qui aujourd'hui anime les débats les plus passionnés en Hexagone, commence à porter ses fruits. Il a déjà eu des retombées concrètes, puisque, à la demande du président Jacques Chirac, qui a vu le film en projection privée, le gouvernement a décidé de revaloriser les pensions des anciens combattants originaires des anciennes colonies. Un an après des émeutes qui ont secoué les banlieues du pays à forte population d'origine immigrée, un film comme Indigènes peut permettre à des Français originaires de ces territoires, qui ont envoyé leurs ancêtres dans l'armée française, de se sentir reconnus. Mieux vaut tard que jamais. A compter du 1er janvier prochain, ces anciens combattants recevront les mêmes pensions que leurs compagnons français. Même si la plupart d'entre eux sont morts. La décision a été prise, hier, en conseil des ministres par le président français, Jacques Chirac, alors que sort dans les salles de cinéma le film Indigènes. Il s'agit pour M.Chirac, d'«un acte de justice et de reconnaissance pour tous ceux qui sont venus de l'ex-empire français combattre sous notre drapeau.» Avant de poursuivre que «cette mesure juste, c'est aussi une façon, pour la France, de réintégrer pleinement cette mémoire dans l'histoire nationale». A noter que ces nouvelles dispositions qui ont mis fin à une inégalité qui durait depuis 1959, toucheront plus de 15.000 Algériens, le même nombre de Marocains, un peu moins de 5000 Tunisiens. Soit une enveloppe annuelle estimée à 110 millions d'euros, indique le porte-parole du gouvernement français, Jean François Copé. A noter que depuis le gel de leurs pensions en 1959, les anciens combattants issus des ex-colonies ne touchent actuellement qu'environ 30% du montant des pensions attribuées aux nationaux français, «quand un Français reçoit environ 690 euros par mois pour une pension d'invalidité, un Sénégalais perçoit environ 230 euros, un Camerounais 104, un Marocain ou un Tunisien 61 euros». Pour sa part, Hamlaoui, ministre délégué aux Anciens combattants, a affirmé qu'«il n'y aura plus de différence dans ces deux prestations qui sont la retraite des combattants et la pension militaire d'invalidité entre les ressortissants de ces pays et les nationaux français». Cependant cette revalorisation, ajoute le ministre, ne sera toutefois pas rétroactive «pour l'instant». Réagissant à cette revalorisation des pensions, le réalisateur d'Indigènes, a salué une «abolition des discriminations qui aura des répercussions dans toute la société française». Ainsi, il aura, donc, fallu attendre le film de Rachid Bouchareb pour songer à la réparation d'un litige vieux de cinq décennies. Un sujet qui a, d'ailleurs, animé la polémique au sein de la classe politique française, sur fond de précampagne électorale pour la présidentielle de 2007. S'exprimant à partir du Sénégal où elle était en visite, sur les pas de Nicolas Sarkozy, la candidate socialiste à la présidentielle, Ségolène Royal a trouvé «regrettable qu'il ait fallu attendre la sortie d'un film pour réévaluer les pensions des anciens combattants des anciennes colonies françaises». La mesure du chef de l'Etat français, même si elle intervient tardivement, permettra une meilleure intégration de la communauté immigrée, confrontée à une discrimination multiforme, notamment au cours de ces dernières années. La crise des banlieues n'est, en réalité, que la face visible de l'iceberg. Réagissant à cette décision, le président de l'Association marocaine des anciens combattants, Mohamed Azzouzi, tout en se félicitant de la mesure prise, a appelé les autorités françaises à faire vite. «Ils ont fait ça un peu trop tard, la majorité des concernés sont déjà décédés, mais ça ne fait rien», renchérit-il. C'est ce que pensent les anciens combattants algériens (lire l'article de A.Saïd). Le film Indigènes, à l'origine de cette revalorisation pourrait contribuer à une meilleure prise en compte du rôle des troupes indigènes dans l'enseignement français pour rapprocher sur les bancs de l'école des élèves d'origine géographique et de confession différentes à travers des moments forts de notre histoire qui fondent la citoyenneté. En somme, d'après les observateurs, le film Indigènes, qui a réussi à «crever l'abcès» (dixit Jamel Debbouze), peut contribuer à apaiser le débat sur l'immigration. Comme il constitue une première étape vers la reconnaissance par la France de son passé colonial. Et si le président Chirac visionnait La bataille d'Alger et L'opium et le bâton, la France demanderait-elle, enfin, pardon à l'Algérie pour ses crimes commis pendant la guerre de Libération?