Cette fiction imaginée sur la base d'aspects historiques visiblement documentés retrace un pan de l'histoire du combat « français » contre Hitler et le nazisme, mais vu du côté des Maghrébins, surtout Algériens, le film retraçant l'épopée de quelques-uns d'entre ces derniers. Malgré les injustices, le rôle joué par les tirailleurs musulmans algériens et par extension maghrébins et africains (ils étaient 130 000 en tout) lors de la Seconde Guerre mondiale n'a pas été nié, en témoignent les stèles érigées dans les cimetières de l'Hexagone. Mais dans la production de l'image, au lieu d'une présence accessoire, Rachid Bouchareb, comme il l'a fait dans Little Sénégal pour la communauté africaine à New York, leur donne non seulement la parole, mais encore restitue leur héroïsme à dimension humaine avec tout ce que cela comporte comme doutes, peurs mais surtout courage dans les combats et engagements pour l'égalité promise au sein de l'armée française mais jamais appliquée dans les faits. Ce qui donne une crédibilité aux faits relatés. Le film s'ouvre sur une image aérienne (peut-être satellitaire) d'un douar perdu aux confins de l'Algérie profonde. Nous sommes en 1943 et un caïd ou bachagha recrute des hommes pour contribuer à libérer la France du joug nazi. Historiquement pédagogique Commence alors l'épopée de Saïd (Jamel Debbouze), Yassir (Samy Nacéri), Messaoud (Rochdy Zem) et le caporal Abdelkader (Sami Bouadjila) qui vont concentrer sur eux tout ce que l'auteur du film veut faire savoir sur cette page d'histoire qui hante encore les survivants, souvent oubliés à leur solitude et triste sort, d'où le combat mené par quelques-uns d'entre ces derniers pour une reconnaissance effective par l'Etat français qui hésite encore à les rémunérer comme il se doit. A ce quatuor, dont les interprètes ont reçu collectivement le prix d'interprétation masculine au dernier Festival de Cannes, le réalisateur adjoint le personnage du sergent Martinez (Bernard Blancan), un homme dont la dévotion est aussi grande que la jalousie avec laquelle il tente de garder son secret. Il est de mère « indigène », ce qui lui confère symboliquement cette double appartenance ou un double enracinement en même temps européenne, chrétienne et en même temps indigène, comme pour lancer un clin d'œil à la communauté pied-noir. « C'est curieux, si on mettait ma mère et la tienne l'une à côté de l'autre, on dira que ce sont des sœurs », lance le soldat Saïd qui a découvert le secret au sergent Martinez qui pique une colère comme pour exprimer la contradiction difficile à gérer pour un soldat à moitié indigène, mais dont le secret lui permet de monter dans les grades contrairement aux autres. « Les balles allemandes ne font pas de différence », rétorque le caporal Abdelkader à son capitaine après s'être érigé contre l'injustice et un traitement en défaveur des soldats « indigènes ». Il est l'un des rares lettrés parmi ses semblables, un statut qui lui confère le droit de revendiquer une place pour les siens au sein d'une armée qui n'a jamais tenu ses promesses de récompenses à la hauteur des sacrifices. Accueilli en héros à Marseille, après la bataille d'Italie, le soldat Messaoud tombe en amour partagé avec une Française, Irène à qui il a promis de revenir après la guerre. Sur le front, ses lettres seront frappées du sceau de la censure, un abus commis par ses supérieurs pour empêcher cette liaison pour eux inadmissible. Irène le cherche et s'inquiète mais ne trouve pas, elle aussi, une oreille attentive à ses doléances. Spectaculaire film de guerre Dans une autre scène, comme pour montrer les contradictions et le fait que personne n'est dupe, le jeune frère de Yassir fait cette réflexion à l'intérieur d'une église : « La France a massacré nos familles en Algérie. » Le frère ne donne aucune réponse mais tout deux mourront pour la France et le dernier après un véritable sacrifice en Alsace où il fallait résister pour permettre aux Américains d'entrer en scène. Le film s'achève sur une scène émouvante. 60 ans après la fin de la guerre, un vieillard, le caporal Abdelkader, se recueille en même temps sur la tombe de son sergent à l'effigie chrétienne que sur celle de ses autres compagnons morts au combat à l'effigie musulmane réunis côte à côte. En 1959, une loi gèle les pensions des anciens combattants des colonies dont les pays accèdent à l'indépendance. En 2002, le conseil d'Etat somme le gouvernement français de donner une pension intégrale à ces combattants mais, nous apprend le film, cette décision n'a cessé d'être repoussée. Ailleurs, on apprend que pour toucher une partie de cette pension, les anciens combattants devaient justifier d'une résidence de 9 mois sur 12 sur le territoire français. C'est sans doute pour cela que le réalisateur montre à la fin le vieil homme, hier un véritable héros, aujourd'hui un anonyme solitaire vivant dans un réduit. Le film n'oublie pas également de mentionner la tentative de l'armée allemande de faire en sorte que les soldats musulmans désertent les rangs de l'armée française en leur promettant la liberté. Ce seront finalement les injustices commises par la France qui vont précipiter la guerre d'indépendance et où beaucoup d'anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale vont se retrouver dans l'armée de Libération nationale. Indigènes, qui sort en salle le 27 septembre, va être projeté le 5 octobre à Alger en présence du réalisateur et des interprètes, annonce le frère du réalisateur qui estime à 20 millions d'euros le budget de ce film dont les scènes se rapportant à l'Algérie sont tournées au Maroc. Selon lui, l'ébauche de ce film date de 10 ans, mais la concrétisation de l'idée a eu lieu a Oran, il y a 3 ans, quand Rachid Bouchareb était venu ici présenter lui-même son film Little Sénégal. « Ecrit petit à petit », précise-t-il, « le film a été réalisé sur la base de recherches historiques et de tri d'éléments possibles à intégrer dans l'histoire singulière des personnages. » Sur un plan technique, ce long métrage est aussi une réussite avec des paysages sublimes et des scènes de combats particulièrement bien confectionnées comme pour un film de guerre classique. Il ajoute que le président français, Jaques Chirac lui-même, a vu ce film et, pour avoir été touché, a promis de reconsidérer la situation de ces combattants de la liberté.