Chaque période de notre histoire a eu ses années de braise. La région de Kabylie a été incontestablement marquée par le combat pour la reconnaissance de la langue et culture berbères. Mais avant d'arriver à ce stade, il y avait une autre période que la majorités des jeunes d'aujourd'hui ne connaissent pas. C'était celle où revendiquer tamazight menait tout droit à la prison. Pourtant, des années plus tard, comme par un tour de magie, on découvre que, finalement, tout le peuple algérien est berbère. L'intérêt de la pièce Achengou, dont la générale a eu lieu jeudi dernier à la Maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, est de rappeler cette page douloureuse du combat identitaire en Algérie. Une page que la génération d'aujourd'hui gagnerait à découvrir afin de mieux pouvoir apprécier les acquis et les victoires arrachés pour tamazight. Dans une salle archicomble, le public a eu droit à une pièce de qualité, respectable, interprétée par des jeunes de la région des Ouadhias qui n'ont pour arme que la volonté de bien faire. Une volonté entretenue par la présence de l'adaptateur de la pièce, à savoir Hocine Haroun, qui a pu adapter le texte de Jean-Paul Sartre à la réalité algérienne. La scène s'ouvre dans une cellule où un groupe de militants de la cause berbère est emprisonné. C'était à l'époque du parti unique et des pratiques iniques. A l'instar de toute situation similaire, il se trouve parmi les militants arrêtés: certains sont dotés d'un courage sans faille, d'autres le sont moins. Il y a même quelqu'un que l'on ne pourrait pas qualifier de lâche puisqu'il bénéficie de circonstances atténuantes vu son jeune âge. Mais sans doute, la plus téméraire d'entre tous c'est la femme. En effet, il y avait dans le groupe une femme dont le courage dépasse celui de tous les autres. Cette femme sert même de stimulant à ses compagnons de bagne. Elle leur procure de la force quand ils feignent s'en départir et elle leur rappelle leurs devoirs quand ils sont sur le point de les oublier. L'envers du décor, ce sont les quatre bourreaux torturés par leur conscience avant de torturer leurs «frères». Des jeux de mots employés dans les dialogues montrent à quel point le kabyle est une belle langue comme, par exemple, lorsque l'un des prisonniers reproche à la femme son excès de «tirugza». Quand en 1988 le pouvoir décide de s'ouvrir au multipartisme et de ne plus interdire tamazight, les bourreaux, qui s'adonnaient à la sale besogne malgré eux, sans conviction mais juste parce qu'ils étaient payés pour ça, sont soulagés; ils sont comme libérés, tout comme leurs «frères» de l'autre camp. Ils se demandent même pourquoi autant de temps perdu et autant de dégâts pour reconnaître une évidence. C'est le moment choisi par Hocine Haroun pour faire jaillir la voix rebelle de Lounès Matoub pour entonner comme un hymne à l'espoir: Slaâvits a yabahri.