«Quand je n'aurai plus de public, j'arrêterai. Où est le problème?», ressasse Farid Ferragui aux donneurs de leçons. Il est d'une discrétion unique. Son effacement rappelle l'attitude de Cheikh El Hasnaoui. Farid Ferragui est un artiste qui a toujours évolué loin des feux de la rampe. Son parcours est exceptionnel. Il ne fait pas trop de bruit car il n'a rien à se prouver. Sa voix est l'une des plus belles que la chanson kabyle ait engendré. Elle est belle et douce. Mélancolique aussi. Tout en reconnaissant son talent indéniable, on lui a souvent reproché la tristesse de ses chants. On a critiqué d'autres choses en lui comme sa persistance à ne jamais changer de style malgré l'évolution du temps. Il reste fidèle à son luth. Ceux qui l'ont aimé depuis ses premiers pas au début des années quatre- vingt n'ont aucune raison de ne plus l'aimer près de trente ans plus tard. Il l'a prouvé à maintes reprises à l'occasion de ses différentes tournées qui l'ont conduit dans plusieurs régions d'Algérie. «Quand je n'aurai plus de public, j'arrêterai. Où est le problème?», ressasse Farid Ferragui aux donneurs de leçons. Farid Ferragui est l'un des artistes les plus importants de Kabylie. Il fait partie de ceux qui payent cher leur autonomie et leur volonté de ne pas s'accrocher à une quelconque brèche afin de bénéficier des faveurs des médias et des hommages. Il a évolué seul. Il refuse toutes les invitations officielles sans pour autant offusquer ceux qui le sollicitent sous une chapelle ou une autre. Un artiste n'est pas un chef de kasma. Il en est convaincu. Il sait aussi que participer à une activité officielle est synonyme de concession voire de compromission. On t'offre une médaille et on achète ton silence. Il préfère la voix du phénix. L'«Année de l'Algérie en France» il n'y a pas participé mais contrairement aux artistes des deux bords (ceux qui ont participé et ceux qui ont boycotté), il n'a pas fait de tintamarre. Il n'a dénoncé personne. C'était un choix individuel que chacun était libre d'effectuer et d'assumer. Farid Ferragui n'aime pas la diversité et les problèmes stériles. Il se sacrifie souvent pour ne pas entrer dans les débats byzantins qui ont fait tant de mal à la Kabylie et à la culture berbère. Pour lui, il vaut mieux se taire que de s'attaquer aux autres juste pour faire plaisir à son ego. Le choix de Farid Ferragui est extrêmement difficile à assumer car parfois, il est obligé de taire certaines vérités. Il est convaincu que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Il est même contraint de ne pas réagir quand des «frères artistes» lui mettent sournoisement des bâtons dans les roues à la veille d'une tournée nationale, il y a plus de trois ans. Il préfère ne pas répondre et ne rien dire. Son seul baromètre, c'est son public. Pour l'instant, ce dernier a toujours été au rendez-vous. Farid Ferragui a été même agréablement surpris, lors de sa dernière tournée en 2005, en découvrant des jeunes de dix-huit ans dans les salles de spectacle de Béjaïa, Bordj Bou Arréridj, Alger, Bouira et Tizi Ouzou. C'est dire que l'amour, tel que chanté par Farid, n'a pas de limite d'âge. Une mise au point cinglante aux chanteurs qui prétendent que les jeunes d'aujourd'hui ne savent pas aimer profondément, pour justifier leur incapacité à épater les nouvelles générations. C'est vrai qu'écouter Farid Ferragui comporte des risques car de ses chansons jaillit une tristesse inouïe et prégnante. On a même dit qu'écouter les chansons de Farid Ferragui serait un indice de dépression. Mais ce genre de remarques désobligeantes et souvent suscitées par la jalousie, ne font que réjouir et encourager le fils de Taka, de Tizi Ghennif. Il le dit et il l'assume; son objectif en chantant est de provoquer des larmes chez ses mélomanes: «Quand je suis sur scène et que je vois les spectateurs pleurer, je me sens soulagé car j'ai enfin atteint mon but. Je suis parvenu à leur coeur.» Farid Ferragui est convaincu qu'un vrai artiste est celui qui touche les coeurs. Ecouter Farid Ferragui éveille inéluctablement les souvenirs amoureux les plus lointains. Ferragui ravive la douleur du passé et attise la peine présente. C'est pourquoi il est vivement recommandé de ne pas l'écouter en conduisant sa voiture, par exemple, ou en étant en compagnie d'un nouvel amour. Car aussi heureux que puisse être le présent, les chansons d'amour de Farid Ferragui nous arrachent et nous replongent dans les méandres des cendres des temps révolus. Les chansons de Farid sont des formes de thérapie efficaces qui nous apprennent, non pas à oublier le passé, loin s'en faut, mais à l'affronter et à l'accepter. Exactement, comme nous le conseillerait un psychiatre chevronné. Farid Ferragui est donc loin d'être un faiseur de fous, comme colporté par ses détracteurs, mais il est un excellent psychologue. Un véritable artiste dont la voix n'a pas été altérée malgré les années. Il a toujours une voix aussi impeccable. Sa façon d'interpréter est d'un naturel déconcertant. Ses vers sont des soupirs, que deux amoureux qui se rencontreraient après vingt ans de séparation, écouteraient avec délice. Sous la pluie ou au bord de la mer, la nuit sous les étoiles, ou à l'aube sur son lit, les chansons de Farid Ferragui sont des amies fidèles et douces. Elles nous font pleurer certes mais elles nous font aussi redécouvrir nos capacités particulières dans le domaine de l'amour. Car aimer est un verbe qui se conjugue au passé mais aussi au présent et surtout à l'avenir. C'est l'un des messages que tente de nous transmettre Farid Ferragui. Ce fou de l'amour.