Une procession humaine n'a pas cessé d'affluer durant toute la journée de jeudi vers le village natal de Matoub Lounès. 10 heures, il était déjà difficile de se frayer un chemin autant à l'intérieur de la maison du Rebelle que vers sa tombe. Des images qui rappellent le jour de son enterrement, le 28 juin 1998. Pourtant, onze années se sont égrenées mais les milliers de personnes présentes à Taourirt, pour marquer la commémoration de l'assassinat de l'enfant prodige, ont prouvé que ce dernier n'a pas été assassiné pour rien. L'amnésie ne l'a finalement pas emporté. Le devoir de mémoire a primé. La présence de jeunes de moins de dix-huit ans était remarquable. Ce qui a fait dire à de nombreux présents que Matoub a réussi à réaliser son rêve. Malgré une disparition physique de plus d'une décennie, il reste dans les coeurs et dans les actes. Nous avons aussi observé que les visiteurs ne provenaient pas uniquement des wilayas de Tizi Ouzou et de Béjaïa mais de partout: Alger, Bouira, Boumerdès, Sétif, Bordj Bou Arréridj, Tipasa...Pour déposer une gerbe de fleurs, il fallait patienter de longs moments avant que la voix ne se libère. C'est devenu presque systématique. Les pèlerins, en arrivant, se dirigent d'abord vers la tombe. Ils déposent des fleurs et se recueillent devant la tombe. Après quoi, ils visitent le garage où est exposé le véhicule criblé de soixante-dix-huit balles. Ils finissent au siège de la fondation Matoub. Dans ce dernier, les séances de prises de photos étaient interminables. Une vieille, brandissant le drapeau algérien, n'a pas cessé de déclamer à haute voix des poèmes sur Matoub. Devant la maison du Rebelle, les foules se tassaient mais dans le calme malgré l'absence d'un service d'ordre. Sur des kilomètres, les files de voitures, de fourgons et de bus étaient perceptibles. A certains moments, il était carrément impossible aux véhicules d'avancer. Des groupes formés de jeunes hommes et de femmes vêtues de robes kabyles, atterrissaient avec une pancarte où on pouvait lire des noms d'association, de comités de villages ou les noms des résidences universitaires. Comme chaque année, les étudiants de l'université de Tizi Ouzou sont venus par bus, en nombre important. De même que ceux de l'université de Béjaïa, particulièrement ceux de la cité Targa Ouzemour. La wilaya de Bouira était fortement représentée. Des centaines de personnes, en provenance de cette wilaya, se sont mobilisées à bord de plusieurs bus pour ne pas rater cette occasion. D'anciens militants de la cause berbère étaient également dans la foule à l'image de l'ancien détenu: Ahcène Chérifi, de Mohand Loukad (auteur de la traduction des chansons du dernier album de Matoub), de Ali Belkadi de l'association Tagmats de Lyon, à l'origine de la baptisation d'une esplanade au nom de Matoub Lounès à Lyon. La liste est encore longue. D'autres délégations étaient venues à titre officiel comme celle de la direction de la culture de la wilaya de Tizi Ouzou, celles des partis politiques et d'organisations de la société. Mais ce qui a caractérisé la journée de jeudi dernier, c'était plutôt le fait que la commémoration s'est effectuée dans un climat populaire où aucune place n'était laissée aux discours populistes ou de récupération. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas eu de tentatives dans ce sens, mais que pouvait une poignée de personnes, venues avec des arrière-pensées, devant des milliers d'autres que seuls le coeur et la sincérité avaient conduit jusqu'ici. Le combat de Matoub pour une Algérie meilleure et pour une démocratie majeure, était plus que jamais d'actualité jeudi dernier. Les milliers de personnes, dont certaines ont même passé la nuit à la belle étoile à Taourirt, ont voulu dire qu'elles restent attachées à leur Algérie et à leur idole, quoi qu'il en soit. Ce n'est que vers 19 heures que la foule a commencé à s'éclaircir tandis que quelques dizaines de fans de Lounès Matoub ont fait le choix de passer la nuit de jeudi à vendredi dans ce village féerique. Vendredi, le rendez-vous a été donné dans la ville de Drâa El Mizan, où il a été procédé à la remise du Prix de la résistance à deux associations portant le même nom «Tagmats», en présence de la mère de Matoub Lounès et d'un public nombreux.