Le hasard le plus beau est celui qui nous porte à vouloir lire un bon livre. Qu'est-ce qu'un bon livre? Je ne me hasarderais pas aujourd'hui à y répondre. Mais le bon livre est celui qui nous a poussés d'en lire, puis celui à en lire le suivant et ainsi de suite jusqu'à développer en nous le goût de lire et à marquer notre existence. Un écrivain, François Mauriac, a eu cette belle réflexion qui va loin dans l'âme du lecteur pour qui aucune journée n'est perdue. Cette réflexion est celle-ci: «Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es», il est vrai, mais je te connaîtrai mieux si tu me dis ce que tu relis. Vlan! Pour tous ceux qui grimacent déjà à la première lecture. Je vous inviterai donc à relire un livre parmi ceux que j'ai proposés dans ma rubrique du Temps de Lire. Je vous les livre au hasard. Au hasard? ILS AVAIENT LE SOLEIL POUR TOUT REGARD de Kader Ferchiche (Editions Alpha, Alger, 2008, 173 pages): J'ai été frappé par une page à l'apparence anodine, mais au souffle puissant qui nous remémore des événements historiques attristants: un Algérien, Madjid Zahar, âgé de trente ans, émigré, ayant pris le train à Valence pour Montélimar sans s'acquitter du prix du billet, comparaît devant le tribunal de Montélimar, en mars 1954; cette page, la voici: Si j'avais eu les moyens, j'aurais payé ma place. Je ne suis pas un voleur. Je suis parti d'Algérie parce que c'est la misère là-bas. Pourtant je suis allé à l'école, j'ai même mon certificat d'études. On n'est pas nombreux, les Arabes, à avoir le certificat. Je ne suis pas un voleur, je suis un bon Français musulman. Il y a dix ans, en août 1944, j'étais soldat. J'ai fait le débarquement en Provence. Après la guerre, je suis retourné en Algérie, mais il n'y avait pas de travail. Je pensais en trouver ici. À tort. Et en plus je me suis fait voler mon portefeuille avec toute ma fortune. 27.000 francs! Je n'ai plus rien. Pour me déplacer, comment faire, je n'avais pas le choix, monsieur le Président. Je travaillerai et je rembourserai mon ticket. S'il y a de l'embauche au Rhône, tout s'arrangera pour moi. Comment ne pas appliquer la loi? Au juge, «L'homme paraît sincère.» De plus, il «ne peut oublier que lui-même a participé à la Libération et que, dans son régiment, il a vu se battre sous ses ordres et tomber pour la patrie, les "Africains". Des soldats courageux et méritants qu'on envoyait en première ligne.» JOURNAL, LA PASSION DE DEFENDRE de Jacques Vergès (Editions du Rocher, lieu, 2008, 406 pages): «Il défend les causes désespérées pour étudier la nature humaine, pour la comprendre et pour la faire mieux connaître. [...] La lecture de ce Journal nous emmène loin, profondément, dans la passion de Maître Vergès. Notre plaisir est entier, notre jugement plus favorable à la nature humaine, dès lors que l'analyse nous éclaircit les chemins tortueux que prend parfois la justice... ou la société quand elle se fait juge. [...]Au contraire du romancier, l'Avocat n'invente pas le drame, ne prépare pas les lieux de l'action, ne néglige pas l'accessoire, car tout ce qui fait vivre ses personnages, donne forme à leurs destins. [...]Une cure de réflexion édifiante vous est offerte gracieusement, chaque fois que vous lisez ou relisez les courts récits sur sa passion heureuse d'avocat qui, lui seul, détient la clé fétiche de la liberté d'esprit.» LA CUILLÈRE ET AUTRES PETITS RIENS de Lazhari Labter (éd. Lazhari Labter, Alger, 2009, 101 pages): «Nous sommes tous hantés par des images que nous croyons depuis longtemps avoir oubliées. [...]À dire vrai, les souvenirs nous donnent assez d'esprit pour nous concentrer sur un charme qui n'est plus au présent...Quels Narcisses sont alors les vrais artistes se mirant dans leurs propres illustrations qu'ils ne peuvent même plus retoucher ni mettre à jour! Les "petits riens", les "petites choses" d'hier prennent alors aujourd'hui de la valeur, deviennent des choses importantes, des choses du coeur plus fortes que celles de la raison. Etymologiquement "rien" étant "chose" et en employant le terme "petit", Lazhari Labter exprime, par exagération compréhensible, un sentiment d'affection, une douce familiarité. Au sujet de "rien", Bourdaloue (1632-1704), en un autre temps, avait pu écrire: "Je ne suis rien, mais ce rien après tout, c'est ce que j'ai de plus cher, puisque c'est moi-même (Pensées, t. II, p. 419)." Place donc à Lazhari Labter et à ses sentiments qui donnent du sens à ce qui n'a pas été évalué par nos historiens!» LE GENIE DE LA MER, CHRONIQUES JIJELIENNES de Salah Bousseloua (Casbah Editions, Alger, 2008, 215 pages): «Ce qui prédomine dans ce livre Le Génie de la mer, c'est la mer géniale. L'auteur, si l'on peut dire, a un cri d'amour et de révolte, tout à la fois, arrachés à l'enfant qu'il fut et au vieil homme qu'il est devenu, maintenant riche des secrets de sa ville, des gens de la mer et... de la bonne poiscaille! Entre eux et lui, s'est développée une intimité, grossissant avec la réalité et le fantastique de ce qui le dispose à la patience de voir, d'écouter et de raconter un univers auquel quelqu'un d'autre aurait été indifférent. Il s'octroie le pouvoir du mystique devant tant de beauté chargée d'histoire: la beauté du décor l'éblouit, le langage des hommes l'instruit, - même à l'Histoire, il rend son histoire par l'anecdote qui rappelle l'aventure humaine et nous fait aimer, sacraliser, ce qui nous permet de nous identifier. Et pourtant, Salah Bousseloua n'est pas historien.»