Cherté de la vie, crise du logement, chômage, manque de moyens sont autant de facteurs ayant poussé ces filles à épouser le célibat. Le célibat au féminin est en passe de devenir un phénomène de société en Algérie. Combien sont-elles les filles ayant atteint l'âge de convoler en justes noces mais qui sombrent encore dans un célibat qui semble être éternel? A voir le chiffre exact de ces «oubliées de la société», c'est chercher une aiguille dans une botte de foin. Les enquêtes et études pouvant recenser le nombre exact de cette frange sociale ne courent pas les rues. Une chose est certaine, le chiffre global va crescendo au fil des années. Approchées, certaines nous ont grandement ouvert les bras en acceptant de témoigner et de nous éclairer sur leur situation. Se situant au-delà des 32 ans, selon des sociologues et autres spécialistes, l'âge du mariage est en net recul. En douze ans, il a reculé de cinq ans puisqu'il se situait, en 1987, aux alentours de 27 ans. Peur maladive, Code de la famille... Rongées d'ennui et d'angoisse, l'air pessimiste et désespéré, le projet de trouver leur deuxième moitié semble à ces demoiselles un rêve lointain dont la réalisation est renvoyée aux calendes grecques. Native de Bachdjerrah, Ahlem a quitté les bancs de l'école après seulement deux ans de scolarité. Le vocable «mariage», elle l'entend uniquement chez autrui. Son père, Y.Y., lui impose un «régime» difficile à suivre: un voile strict porté dès l'âge de 6 ans et interdiction de sortir, sauf accompagnée de l'un de ses frères aînés...Malgré toutes ces contraintes, et ses chances de trouver l'«homme de sa vie» qui se réduisent au fil du temps comme peau de chagrin, Ahlem ne désespère pas. Rencontrée «incidemment» dans un magasin de tenues religieuses en compagnie de son frangin, Ahlam, la trentaine, avouera: «Personne ne me connaît. Même mes proches ne connaissent de moi que mon existence.» Un aveu à méditer...Quelle solution trouver avec un père tyrannique et très imprégné de religiosité? En finir avec et passer le reste de ses jours en prison? L'idée taraude l'esprit d'Ahlem, mais «c'est mon père, que voulez-vous que je fasse, mes deux soeurs et moi souffrons de cette situation mais on doit se soumettre». Devant la tyrannie du père, Ahlem regrette la mort «précoce» de sa maman. «Sa présence aurait eu une influence positive sur la vie de la famille. Et le comportement de mon père serait autre», dira Ahlem, le regard lointain. Intervenant au cours de la discussion, Ahmed, petit frère d'Ahlem paraissant avoir conscience de cette situation, soulignera: «C'est regrettable de voir mon père agir de cette façon. Seulement, on croit au destin et mes soeurs...». La question insidieuse, «est-tu mariée?», formulée sous toutes les intonations possibles et imaginables, met la majorité des jeunes filles célibataires dans l'embarras. Une gêne visible, notamment chez les filles à la trentaine passée. Pour certaines, la peur de vieillir célibataire tend à prendre des allures maladives comme si le célibat était une situation prohibée. Mais pour d'autres, c'est l'échappatoire. Native du village de Tizi Hibel à Tizi Ouzou, Malika fait passer ses études supérieures en premier lieu. A 31 ans, elle compte soutenir sa thèse de doctorat en littérature anglaise dans deux ans. Pour elle, les études passent avant tout. «Je préfère assurer ma vie professionnelle que de m'engager tout de suite dans une relation, car après il me sera difficile, voire impossible, de continuer mes études.» Pourtant ce ne sont pas les demandes qui font défaut. Mais Malika y tient à son rêve d'enseigner et à son indépendance. D'autres trentenaires préfèrent carrément le célibat que de subir le diktat des hommes. «Je préfère réussir ma vie professionnelle et me prendre en charge que de subir le diktat et le masochisme des hommes. Ils vous promettent au début monts et merveilles en se montrant ouverts et compréhensifs mais une fois mariés, ils dévoilent leur vraie nature», soulignent certaines jeunes cadres ayant réussi leur vie professionnelle. Ainsi, en plus de la cherté de la vie, la crise du logement, le chômage, le manque de moyens et autres barrières viennent s'ajouter à tous ces facteurs suscités. Les jeunes préfèrent construire d'abord leur avenir professionnel avant de se lancer dans une aventure, souvent sans lendemain. Le recul de l'âge du mariage s'explique également par l'amélioration du niveau d'instruction des femmes. Celles-ci sont plus nombreuses à faire des études supérieures et, chose nouvelle, les font passer avant leur état civil. Les femmes instruites attendent aussi le «meilleur parti» avant de se faire passer la bague au doigt, quitte à repousser l'union. Et les enquêtes le démontrent. Les sociologues ayant mené la dernière enquête imputent les raisons de ce phénomène à des raisons socioéconomiques. Nacer Djabi, sociologue au Cread, le confirme en expliquant le recul de l'âge du mariage en Algérie par «une transition démographique rapide avec l'allongement des études, l'élévation du niveau d'instruction chez les femmes qui font souvent le choix du célibat». Il est vrai que les parents, qui souhaitaient marier leurs filles à l'âge nubile, ont changé le fusil d'épaule aujourd'hui en incitant leur progéniture à aller le plus loin possible dans ses études dans la perspective d'être mieux outillée pour affronter les aléas de la vie. S'il y a dix ou vingt ans, la trentenaire était considérée déjà comme une vieille fille, vouée au «célibat à perpétuité», elle représente, aujourd'hui, le symbole de la réussite professionnelle, qui doit précéder presque impérativement l'engagement dans une vie conjugale. Il n'en demeure pas moins que le cap des 40 ans est souvent pressenti comme la limite à ne pas franchir, au risque de ne jamais trouver de mari. Ayant vécu cette situation, certaines filles peinent à dévoiler leur souffrance. La peur de le dire, impose un voile de silence. «On est surveillées par toutes les familles», souligne une jeune femme de 41 ans. Le célibat féminin, plus élevé chez les universitaires, est également une conséquence du manque de confiance quant aux lois en vigueur. Celles-ci leur sont défavorables en cas de divorce. Les infimes amendements, introduits dans le Code de la famille en février 2005, ne garantissent pas des droits absolus aux femmes, particulièrement fragilisées au moment de la dissolution du mariage. Psychose de l'union...et célibat définitif Apostrophé sur le sujet, A.Z. psychiatre à Alger évoque les déceptions vécues par le passé, résultat de ce qui est appelé en termes cliniques «psychose de l'union». Le spécialiste souligne, toutefois, que le célibat engendre parfois des troubles psychologiques graves. Il s'agit, notamment des troubles dépressifs et nerveux qui rendent le sujet irritable et constamment nerveux en raison des besoins non assouvis et des troubles de sommeil et de caractère qui pourraient se répercuter négativement sur sa vie professionnelle...Le spécialiste évoquera également la question du célibat définitif qui n'existait pratiquement pas dans la société traditionnelle où tous les hommes et les femmes finissent par être mariés. Or, on enregistre actuellement un pourcentage significatif de célibats définitifs, non choisis délibérément. De même, les veuves et les divorcées étaient rapidement remariées. Les mariages multiples tout comme la situation de non-(re) mariage n'étaient pas déconsidérés. Sur sa lancée, notre interlocutrice parlera aussi du recul de l'âge du mariage. «Ce dernier se fait de plus en plus tardif. Nous avons donc là un volume important de population jeune aux âges cruciaux des pulsions sexuelles qui ne peuvent être satisfaites normalement, elles sont alors source de frustrations et de violence. Les relations sexuelles hors mariage étant très mal vues, sinon pas du tout acceptées par la société algérienne, elles sont aussi une source de profonds déséquilibres, car il n'y a pas de mécanisme de sublimation. Ce phénomène est aggravé par la diffusion de toutes sortes d'informations et d'images à ce sujet par le biais de la parabole.» Les raisons du recul de la moyenne d'âge du mariage féminin sont multiples. La situation des jeunes voués au chômage en est un vecteur principal. Témoignage: Loucif, chômeur depuis plusieurs années nous dira toute la vérité: «J'ai décroché mon ingéniorat d'Etat en hydraulique brillamment, j'ai cherché un travail stable mais en vain, je n'arrive toujours pas à trouver un poste convenable. Actuellement je suis au chômage. Me marier à présent n'arrangerait en aucun cas ma situation qui va empirant chaque jour davantage.» Quant à Kamel, il préfère rester célibataire «que de faire souffrir une femme avec moi». La crise de logement est un des facteurs empêchant le mariage dans notre société. Ahmed, étudiant, estime que sa situation ne lui permet même pas d'y penser: «Je suis issu d'une famille nombreuse, nous vivons dans un appartement étroit. Me marier pour vivre où?», s'est-il interrogé. Entre-temps, nombreuses sont les filles qui n'ont trouvé comme partenaire que le célibat.