A 300 da le kg, ce fruit très apprécié et très demandé risque de faire défaut au panier de la ménagère durant le mois de Ramadhan. Le sujet est sur la plupart des langues. «C'est vrai qu'il donne une saveur et un goût particuliers à la chorba et il accompagne bien les boureks qui sont un peu gras. A ce prix-là, je préfère acheter de la viande rouge ou du poulet, j'ai cinq bouches à nourrir», nous a confié une mère de famille qui n'en revenait pas devant le prix atteint par le kilo de citron. Les fins gourmets auront du mal à s'en passer. Cèderont-ils tout de même à la tentation malgré ces prix prohibitifs qui pourraient franchir un nouveau sommet d'ici quelques jours? «Tant pis, je l'achèterai même si cela doit être à l'unité. Je ne peux concevoir une chorba sans le parfum si particulier du citron.» Ammi Ahmed, un septuagénaire, retraité d'une grande entreprise nationale, semble avoir trouvé la parade. Tant pis s'il doit faire face à une dépense qui va malmener quelque peu son porte-monnaie, mais il n'est pas près de vivre une telle frustration surtout durant le mois sacré. Des frustrations, il y'en aura malheureusement, bel et bien. Les spéculateurs seront sans pitié. Les commerçants aussi. Le mois de Ramadhan c'est le mois des affaires. La rahma c'est pour...les restaurants! Il n'y a qu'à faire un petit tour du côté des marchés pour en avoir le coeur net mais gros sur le coeur surtout. 70 DA le kilo de tomate, 40 à 45 DA pour la pomme de terre, 350 DA le kg de dattes...Les mêmes échos parviennent de l'ensemble du territoire national. Oran, Annaba, Constantine, Batna, Souk Ahras...La palme revient à l'extrême sud algérien. Les fruits et légumes ont tout simplement déserté les étals des marchés à Illizi, nous a-t-on informé, il y a moins d'une semaine. Les différents intervenants sur la chaîne de la spéculation organisent la flambée des prix tandis que le consommateur s'apprête à être sacrifié sur son autel. Comme le mouton de l'Aïd. Mais où sont donc passés les contrôleurs? Le département d'El Hachemi Djaâboub a annoncé qu'il lancerait dans les tout prochains jours une «armada» constituée de 4000 agents qui seront chargés de mettre un peu d'ordre dans cette nébuleuse où règne sans partage cette mafia, apparemment invisible qui fait la pluie et le beau temps sur le marché des fruits et légumes dont elle a le monopole. Dans un tel contexte la flambée du prix du citron peut apparaître comme une peccadille. Une broutille. Son histoire est pourtant loin de représenter une simple banalité. Né sur les contreforts de l'Himalaya où il pousse encore aujourd'hui à l'état sauvage, il a gagné le Moyen-Orient, en particulier l'Iran, grâce au commerce des caravanes. La première appellation qui lui fût attribuée est «la pomme de Médie». Ce sont les Arabes qui le firent connaître en Europe, en Espagne vers 1150, et par la suite à travers tout le pourtour méditerranéen où il s'est formidablement acclimaté. Il a atterri en Amérique lors du second voyage de Christophe Colomb en 1493 pour se répandre, bien après, à travers le monde. Si en Inde, en Chine et dans toutes les civilisations mésopotamiennes, il est reconnu pour ses vertus stimulantes et ses propriétés antiseptiques, dans les pays islamiques on l'utilisait comme antidote contre les poisons et pour éloigner les démons des foyers. Les anciens Egyptiens s'en servaient pour embaumer leurs momies et le déposaient en offrande dans les cercueils. Pline qui en parla dans ses traités le recommanda lui aussi comme antidote contre les poisons. La légende quant à elle raconte que la déesse Terre mère, Gaïa, donna naissance à de robustes arbrisseaux aux pommes d'or, symbole de la fécondité et de l'amour, afin de couronner les noces entre Héra et Zeus. Pour que personne ne puisse s'en emparer, Jupiter en prit soin, les mit dans un fabuleux jardin et les confia aux Hespérides. Des nymphes du couchant, filles d'Atlas et d'Espéris qui vécurent au pied de la voûte céleste qui était soutenue par leur père. Aujourd'hui les pommes d'or des Hespérides ornent les étals de nos marchés, et semblent ne posséder aucun pouvoir pour chasser les démons de la flambée des prix.