Le jeûneur a les yeux plus gros que le ventre. Ce qui fait qu'il ne regarde pas à la dépense et consomme les économies faites pendant le reste de l'année. Ne nous en veuillez surtout pas, si durant le mois du Ramadhan, nos articles auront le goût de la chorba et de la zalabia. C'est comme ça. On n'y peut rien. Peut-on déroger à la règle? Mais c'est surtout le portefeuille qui sera mis à rude épreuve pendant le mois sacré. Le jeûneur qui a été radin le reste de l'année, va quelque peu se relâcher, car, une chose est sûre, s'il lui arrive souvent de refuser des tas de choses à ses enfants, parce que c'est trop cher, là, du coup, il ne refuse rien à son ventre. Il aime ses enfants, mais il aime encore plus son ventre. Et...quand on aime, on ne compte pas. Ici, en l'occurrence, lorsqu'on a jeûné, c'est son ventre qu'on aime et on lui passe ses petits caprices. Ce sont les premiers jours du Ramadhan qui sont les plus onéreux. Les commerçants, qui ont compris cela, augmentent les prix exagérément, sachant que le client ne regarde pas à la dépense. D'abord un postulat de base, si, durant l'année, la société est divisée en classes sociales, en riches et pauvres, avec un ventre mou des couches moyennes, pendant le mois de Ramadhan, tous les Algériens sont riches. Les économies amassées péniblement, centime après centime, pendant onze mois, vont fondre rapidement comme neige au soleil. Tout passe, le bas de laine, les quelques billets fripés glissés sous le matelas, les piécettes gardées dans un noeud de mouchoir, les maigres dinars cachés dans la poche kangourou (ichimi) de la grand-mère, les fonds de tiroir, la cassette d'Harpagon enterrée dans un coin du jardin, tout, absolument tout. Ce qui est vrai pour l'Algérie l'est également pour les autres pays arabes et musulmans. Pour preuve, ces documentaires qu'on voit à la télé: en Jordanie, en Syrie, en Irak, en Egypte, tous les musulmans du monde se plaignent de l'envolée des prix la veille ou le premier jour du Ramadhan. La seule différence, c'est que chez nous, en Algérie, cette année est spéciale, les spéculateurs ayant commencé à jouer avec les nerfs des citoyens depuis des mois, en faisant de la pomme de terre, un légume de luxe. Les règles de l'économie sont bousculées du fait de l'imprévoyance des responsables chargés de veiller à l'approvisionnement des ménages en denrées de base. C'est que la pomme de terre reste la reine des légumes, y compris pendant le Ramadhan. On l'ajoute à la chorba, on prépare à côté un plat de frites, on en met un peu dans le bourek, on fait des gratins, des jardinières. Elle est indispensable, quoi! Au même titre que le blé qu'on retrouve dans la baguette de pain, la brioche, le couscous, la zalabia, les pâtisseries orientales ou viennoises... Ah! le couscous! on allait l'oublier, celui-là. La société algérienne est divisée en deux: il y a le groupe de ceux qui ne peuvent pas se passer de toujours avoir un plat de frites à côté de la chorba, et puis il y a le groupe, tout aussi nombreux, de ceux qui exigent d'avoir toujours le plat de couscous par tous les temps, qu'il pleuve ou qu'il vente. Ils en demandent un peu à la rupture du jeûne, mais surtout il est pour eux indispensable au s'hour; avec quelques grains de raisin sec et un verre de petit- lait. Quels sont les ingrédients qu'il faut pour réussir une bonne chorba, frik, vermicelle, ou h'rira, selon la région? Il y a d'abord la viande. Ce produit de luxe, inaccessible les autres mois de l'année, devient le roi de la meïda durant le Ramadhan. Il en faut au moins quelques morceaux, du mouton de préférence, pour donner une saveur à la chorba. Les légumes, tomate, courgette, bouquet d'aromates, carotte, épices... Vous demanderez à votre maman de vous donner la liste de tous les ingrédients, mais ce qu'il faut savoir c'est que ces produits voient tout leur prix multiplié par trois ou quatre. Les commerçants, à tous les niveaux, se passent le mot pour détrousser le jeûneur. Et puis, il y a le bourek: les recettes sont variables, mais en gros, il faut des feuilles de dioul, des oeufs, du thon, de la viande hachée, du riz ou de la pomme de terre. A côté du bourek, d'une salade variée et du plat de frites, certains préparent un second plat: gratin, poulet rôti, et des tas d'autres plats aux noms savants ou exotiques, comme ce plat qu'on appelle boussou la t'messou (embrasse-le sans le toucher) ou el barania el aryana (l'étrangère nue). Les dattes: pour certains jeûneurs, c'est un rituel. Juste après l'adhan, ils prennent quelques dattes puis vont faire leur prière, et ce n'est qu'après qu'ils attaquent la chorba. Ce qui fait que le prix de la datte se laisse également pousser des ailes. Dans la liste de vos achats, vous n'avez pas oublié, nous en sommes sûrs, la gazouze. Le citron, le piment, la h'rissa, le kilo de fruits. Et le qalb elouze, bien sûr, avec le verre de thé et des cacahuettes grillées, à défaut d'amandes. Tout cela fait que pendant le Ramadhan, on a les yeux plus gros que le ventre. Combien coûte la chorba? Faites un tour au marché et prenez votre calculette. Il y en a pour tous les prix, vu que les gens ne regardent pas à la dépense.