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Les vieux réflexes ont la peau dure
RAMADHAN À BEJAIA
Publié dans L'Expression le 24 - 08 - 2009

Les vacances sont finies. Elles laissent place à un mois sacré avec autant de dépenses, mais la détente ne sera pas au rendez-vous. Elle cédera le pas aux disputes et folie des gourmandises.
La ville et les stations balnéaires se sont vidées de leurs occupants. Ramadhan est à son deuxième jour. Une virée en fin d'après-midi, nous a amplement renseignés sur le «désastre» pour reprendre les propos d'un commerçant qui n'a pas cru que les touristes allaient repartir si vite. «J'ai loué pour tout le mois d'août mais je n'ai jamais pensé fermer boutique aussi tôt», nous dit-il amèrement. Même durant le week-end, temps de grande affluence, les plages sont restées presque vides. «Seuls les gens d'ici continuent à venir et ils sont très peu nombreux», nous dit un maître nageur. Les étrangers sont rentrés chez eux. Depuis jeudi après-midi, les départs ont commencé. Les hôtels, les appartements et tout autre lieu d'hébergement se sont vidés peu à peu. Les restaurants, cafés et ruelles se sont libérés de leur haute fréquentation. Fini les petites bousculades sur les trottoirs, fini les queues devant les restaurants, fini les bouchons qui se forment en début de soirée jusqu'à une heure tardive, Tichy, avait hier son aspect hivernal. Peu de voitures, peu de monde. Seul le manège résiste encore. «Nous tablons sur la clientèle locale en sortie de nuit», explique cet employé.
En ville ou en campagne, les nouvelles habitudes prennent forme. Le rythme ralentit considérablement. Les villes et les villages se sont réveillés tard. Les matinées à Béjaïa ont changé. La métamorphose est visible partout. Très peu de magasins ouverts, les cafés? n'en parlons pas. Il paraît que c'est interdit par la loi. Les gens sont nombreux à manifester des signes d'énervement. La caféine manque. La cigarette fait défaut. Un cocktail explosif chez de nombreux matinaux.
La circulation automobile se fait moins dense. C'est peut-être l'unique côté positif pour les matinaux. Les marchés de la ville sont les seuls à connaître l'animation le matin, autrement on se croirait dans une ville morte. Dans les marchés, on n'achète presque rien. On consomme avec les yeux, tant les prix ont atteint l'inimaginable.. Si la plupart des consommateurs déambulent et donnent l'impression de flâner plus que de faire les courses, il en est d'autres qui cherchent n'importe quel prétexte pour se disputer. Et ne soyez surtout pas surpris par les escarmouches verbales. Entre les automobilistes, les piétons, dans les boutiques, les administrations et même dans les rues, on n'échappe pas facilement aux premiers effets de la soif avant que ceux de la faim n'arrivent pour compliquer davantage la situation relationnelle entre les gens. La colère prend facilement. A la poste Liberté, un homme se présente avec un avis d'arrivée. La préposée au guichet ne trouve pas la lettre. L'incompréhension s'installe et c'est la prise de bec. Des échanges vifs, parfois durs, méchants et surtout souvent gratuits, éclatent donnant lieu aux spectacles que certains dans leur tentative de calmer les esprits aggravent. Au carrefour d'Aâmriw, deux automobilistes se sont oubliés. Le choc a été évité de justesse entre les deux véhicules mais pas entre les chauffeurs qui, un peu plus loin, décident d'en découdre. «Arrêtez-vous! vous avez jeûné», dit une troisième personne pour calmer les deux protagonistes. Le Ramadhan est prétexte à tous les esclandres. Au fil du temps, la ville s'anime. La circulation automobile s'amplifie. C'est l'heure des courses. Les jeûneurs passent leur temps à faire les chaînes. Des chaînes partout. Devant le boucher, l'épicier, le limonadier, etc., il y a toujours du monde. On fait la chaîne pour acheter le pain, le pain brioché, les z'labias, le kalbelouz, la limonade, les fines herbes...le moindre attroupement attire l'attention. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que les sachets s'emplissent de tant de choses achetées à tort et à travers parfois sans même s'en rendre compte. On crie à la flambée des prix mais au vu des couffins qui s'emplissent on est tenté de croire que tout va pour le mieux. Saïd sort d'une boucherie. Il avoue avoir laissé une fortune et reconnaît que cela ne lui arrive qu'au mois de Ramadhan. Pourquoi? Il n'en sait rien. C'est l'Algérien type qui passe son temps à dépenser. La contradiction est flagrante. D'un côté, on dénonce la flambée des prix des produits alimentaires, de l'autre on s'offre des aliments superflus. On crie à l'arnaque pour un kilo de salade à 80 dinars, on fait la chaîne pour une z'labia à 200 dinars. Allez comprendre quelque chose! Certaines habitudes ont la peau dure. Cela ne peut pas être autrement. «Je sais que j'en fais un peu trop mais que voulez-vous, le Ramadhan a ça de particulier, c'est le mois des gourmandises», avoue cette ménagère, dont le fardeau alimentaire n'a de valeur que celle d'expliquer l'état d'esprit des jeuneurs algériens. L'on comprend mieux pourquoi, en pareille période, des commerces poussent comme des champignons. C'est le mois des affaires. Chose que confirme Farid, lui qui prend toujours son congé annuel durant le Ramadhan pour ouvrir sa boutique de gourmandises. «Chaque Ramadhan, je m'installe ici pour vendre un peu de tout. J'ai des fournisseurs qui me livrent et je revends pour m'assurer une rentrée confortable», indiquait-il. Les commerces fleurissent à tour de bras. Pas besoin d'autorisation. Le Ramadhan en est une. Dans l'esprit des gens, c'est le mois du «tout-est-permis». On ne se soucie d'aucune loi et encore moins d'une autorité. Les affaires battent leur plein en ce mois de «piété». C'est au plus malin dans la quête de l'enrichissement. Comment cela peut-il en être autrement lorsque les gens dépensent sans compter? Il en sera ainsi durant tout le mois. Trente jours de bonheur pour les uns et de ruine pour les autres. «Ce n'est pas nouveau», rappelle un de nos interlocuteurs. Il ne faut donc pas s'étonner et il ne faut surtout pas se poser trop de questions. Cela ne sert à rien. C'est un peu le charme de ce mois même s'il laisse des séquelles qui demanderont beaucoup de temps pour guérir. Un Ramadhan chaud, autant pour les corps, les esprits et les bourses. Le décor est bien planté pour un mois de l'année bien particulier. Bon Ramadhan à toutes et à tous!


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