En cette période, les habitudes s'inversent. Les comportements changent. Autant on est crispé, nerveux et parfois coléreux dans la journée, autant on est heureux, aimable et décontracté la nuit. Les nuits du Ramadhan contrastent fortement avec ses journées marquées par une paresse généralisée. Le jour, l'activité est nulle. Au prétexte du Ramadhan, on se contente du minimum. On pointe au boulot. On y passe quelques heures à regarder constamment l'heure. Puis on se défile. Eh oui! Il faut faire le plein de provisions. Durant le Ramadhan, on a l'impression que personne n'a le droit de rentrer chez lui les mains vides. C'est pourquoi, hommes, femmes et enfants tiennent à longueur de journée quelques chose à la main, généralement un filet, un petit panier ou un sachet. On quitte le bureau le plus tôt possible et on déambule dans la ville. On visite tous les magasins, les boucheries...on ne laisse rien au hasard. Le moindre attroupement attire l'attention. Il faut vite aller voir ce qui se vend. Les spectacles dans la rue ne manquent pas. Dans leur quête de tuer le temps, les gens accordent intérêt à tout.. Même lorsqu'un automobiliste klaxonne on se retourne pour savoir pourquoi. Puis on rejoint «home sweet home». Juste avant l'heure de l'Adhan, tout le monde se met au balcon. On compte les dernières secondes avant l'heure «H». L'imam annonce la rupture du jeûne. Dehors pas un chat. L'heure est trop importante pour souffrir d'une quelconque parenthèse. Dans les foyers, seul le bruit, reconnaissable entre mille, du cliquetis des cuillères, rompt un silence lourd, grave, absolu...Chut! On mange, plutôt on avale! Cela prend 20 mn à une heure pour les «affamés» du jour. Ensuite, la vie se transpose dans la rue. Après avoir consommé sans modération les sketches-chorba qui, quoi qu'en disent certains, ces dernières années, ne sont pas si mauvais que cela. Hadj Lakhder et bien d'autres font le sujet des premiers jours de Ramadhan. Dans les cafés qui s'ouvrent enfin, une animation, à mesure que les heures passent, monte crescendo. Par couples, par groupes ou en famille, les citoyens investissent la rue, font du lèche-vitrine, se laissent tenter par les douceurs, dont la variété n'a d'égale que le soin particulier apporté à leur confection, exposées parfois à même le trottoir. La Brise de mer est prise d'assaut. Tout comme le peu de places publiques existant à Béjaïa. Dans les rues, boulevards, la circulation pédestre devient difficile, avec le renfort venu des mosquées après la prière des Taraouih. C'est aussi le moment pour les inconditionnels du loto d'investir les nombreux hangars, cafés et autres lieux dédiés à ce jeu de hasard qui, pour clandestin qu'il est, n'en suscite pas moins un grand engouement. Suspense et plaisir ludique garantis, la course au gain facile est tolérée, sans plus. Dans les villes et campagnes, les cafés aussi sont pris d'assaut. On y joue aux interminables parties de dominos, ronda ou belote. On prolonge la nuit au maximum. On laisse juste assez de temps, pour manger avant la prière de l'Imsak. Dans la rue, la foule bigarrée, déambulant, sans but précis, est toujours là. S'il est vrai que les kilomètres avalés aident à la digestion, c'est aussi l'occasion pour les mères de famille de repérer, de leur regard, auquel rien n'échappe, l'habit qu'il faut pour la rentrée du petit dernier, ou le tablier à offrir à l'admise en sixième. La rentrée ne déchaîne pas encore les passions et les angoisses, mais cela ne saurait tarder, puisque prévue pour le 13 de ce mois. La vie nocturne est agrémentée de concerts. La Maison de la culture Taous-Amrouche et le Théâtre Malek-Bouguermouh sont les lieux de prédilection pour ceux qui ne sont pas partisans de séances non-stop de feuilletons des chaînes satellitaires. Il est tout de même regrettable de voir disparaître les fameuses «qaâdate» familiales.