Le réalisateur Fadika Kramo approuve: «Il faut donner la place à une expression authentiquement africaine». Une belle-mère acariâtre, un mari volage, des domestiques qui prennent fait et cause pour la maîtresse de maison: révélées il y a quelques années, les séries télévisées ivoiriennes et leurs affaires de familles passionnent les spectateurs, dans le pays et au-delà. Lancée en 2002 et diffusée tous les dimanches soirs sur la télévision publique, la bien nommée Ma famille a ouvert le chemin et pulvérisé les records en Côte d'Ivoire, jusqu'à sa disparition des écrans en 2007. «Tous les annonceurs» voulaient que leurs publicités passent sur ce créneau horaire, explique Sanga Touré, chef du département des programmes de la Radio télédiffusion ivoirienne (RTI). La série, emmenée par la comédienne et réalisatrice Akissi Delta, était devenue une espèce de messe, se souvient le cinéaste Fadika Kramo. Dans les salons de coiffure ou au bureau, on commentait chaque lundi l'épisode de la veille, clamant son admiration pour le coureur de jupons Bohiri ou plaignant la naïveté de son épouse Delta. Ma famille a généreusement essaimé. Les comédiens, qui font les délices de la presse people, se sont retrouvés dans les séries à succès qui ont suivi, Nafi et Un homme pour deux soeurs. Contant les aventures de lycéens et d'étudiants, Class'A a été l'une des plus novatrices en rompant avec les intrigues strictement familiales, sur le modèle des «séries d'ados» anglo-saxonnes. «Les jeunes se sont reconnus dans le sujet, qui parlait d'une Afrique moderne», explique son réalisateur Hubert Nakam. Grâce aux chaînes étrangères, la nouvelle vague des fictions ivoiriennes - elles avaient été précédées dès la fin des années 1970 par des séries satiriques produites par la télévision - a fait des adeptes en dehors même du pays, jusqu'en Afrique centrale et, diaspora africaine aidant, en Europe. Akissi Delta n'est pas peu fière de compter parmi ses fans le président congolais Denis Sassou N'Guesso. Et se rappelle avec émotion l'accueil triomphal reçu par elle et son équipe à Brazzaville il y a quelques années. Mais cette popularité est aussi largement due à la piraterie: des copies illicites des aventures hautes en couleurs des héros ivoiriens se retrouvent dans une foule de boutiques à Abidjan, en Afrique et hors du continent. «Quand on se bat pour sortir nos films, les pirates sont là pour s'enrichir sur notre dos», se lamente Delta, qui peine à réunir 900 millions de FCFA (1,3 million d'euros) pour Le secret d'Akissi, une ambitieuse série qu'elle souhaite tourner dans des villes africaines et européennes. Comme elle, auteurs et réalisateurs se débattent entre maigres subventions de l'Etat, timidité des financiers et partage des recettes publicitaires avec la télévision publique. Cette situation empêche pour l'heure les fictions «made in Abidjan», comme les toutes récentes Sah-Sandra et La robe noire, de supplanter dans les foyers ivoiriens les telenovelas d'Amérique latine, à l'offre incomparablement plus abondante. Or, souligne-t-on à la RTI, «les telenovelas posent un problème de moeurs». Du côté des téléspectateurs comme de l'autorité de régulation audiovisuelle, «on se plaint de voir un couple s'embrasser» ou «la fille ravir le fiancé de sa mère»...Le réalisateur Fadika Kramo approuve: «il faut donner la place à une expression authentiquement africaine».