«Le malheur des uns fait le bonheur des autres», cet adage s'applique bien aux restaurateurs des relais routiers. Rompre le jeûne, pourtant au prix fort, et s'exposer à une intoxication alimentaire. «Je ne paie pas toute cette somme, c'est de l'arnaque et du vol systématique!», dit sur un ton de colère Mohamed, originaire de Constantine, qui été obligé de rompre le jeûne dans l'un des restaurants de M'chedellah, une commune à la sortie est de la wilaya de Bouira. Dénonçant les tarifs appliqués, le jeune Constantinois n'a pas hésité à traiter les gérants des restaurants des relais routiers de «charognards et de déprédateurs». Sur place, le jeune homme a eu son lot d'injures devant plus d'une centaine de personnes venues des différentes wilayas du centre et de l'est du pays. La mésaventure des passagers continue sur l'ensemble des relais se trouvant sur l'axe Béjaïa-Oran en passant par Aïn Defla et Relizane. On assiste à des scénarios similaires à chacune des haltes marquées tout le long de ce voyage qui a duré plus de 12 heures. M'chedellah, carrefour de 26 wilayas Nous sommes mardi soir, le bus nous transportant vers la wilaya d'Oran s'arrête net. En face, une multitude de restaurants. Orientés par le chauffeur et le receveur du bus, tous les passagers prennent d'assaut l'un des restaurants qui leur a été recommandé. Idem pour les passagers des autres bus venus d'au moins 26 wilayas de l'Est et de la capitale. Tous ouverts proposant des diners soi-disant dignes des plats de Ramadhan, comprenant tous les ingrédients nécessaires, en l'occurrence les dattes, le lait, la chorba, le plat de résistance avec viande, une limonade et enfin un petit dessert qui ne ressemble à rien. La facture salée est réglée à la caisse installée à la sortie du restaurant, tenue par le gérant, une liasse de billets à la main. «600 dinars», répète-t-il à chacun des passagers qui demandent l'addition. Aucune réclamation n'est possible ni même admise. Les premiers passagers à l'intérieur du restaurant ont été avertis par le caissier planté comme un cerbère devant la grande porte. «C'est à prendre ou à laisser, il y a un seul repas pour tout le monde», a-t-il prévenu. Le caissier surveille les mouvements de tous les clients qui ne cessent de marquer des va-et- vient entre son restaurant, la petite salle des ablutions et la petite mosquée du coin. Dès qu'un client tente la fugue il est aussitôt rattrapé et soumis à une correction inédite. Dehors, quelques clients ahuris continuent de dénoncer la cherté des plats qu'ils ont avalés goulûment quelques minutes auparavant. Les restaurants de M'chedallah situés sur les routes à grande circulation ne sont pas en reste. La violence se substitue à la communication Passé l'onde de choc de M'chedallah, le bus reprend la route, à son bord les voyageurs constitués en petite famille ou chacun des membres se solidarisait avec l'autre, question d'effacer un tant soit peu les séquelles de la tension qui a suivi la rupture du jeûne et l'histoire de la sale facture. Après six heures de route, le scénario de M'chedellah se réédite à Khemis Miliana, Rouina et Sidi Lakhdar dans la wilaya de Aïn Defla lorsque le chauffeur stoppa le bus pour une pause café ou encore un autre repas à prendre. L'art de brouiller les pistes exercé par le personnel, qui laisse croire à une autre arnaque, est le moyen idoine le plus usité pour convaincre les clients à s'attabler. La deuxième arnaque se dessiné, dès l'entrée des passagers à l'intérieur du restaurant un client sommé de verser 800 dinars contre un repas ne lui plaisant pas et qui tentait vainement une réclamation sur les tarifs appliqués, n'a dû son salut qu'à l'intervention des autres passagers qui l'ont arraché des mains du caissier. Au beau milieu de la foule, le client s'obstine à ne verser que 600 DA. Un troisième scénario a eu lieu dans l'un des restaurants sis sur la route qui relie la commune de Matmer, dans la wilaya de Relizane, au territoire de la wilaya de Relizane, le dernier point avant de s'abstenir de toute nourriture et marquer le jeûne de la journée suivante. Il était 3h30 du matin lorsque le chauffeur stationna le grand bus bleu devant le restaurant de son ami. Le chauffeur a été aussitôt pris par la main et escorté, comme un dignitaire, vers la salle VIP laissant les passagers se démêler avec les serveurs du restaurant autour d'un plat de couscous très mal préparé et une hrira indigeste. Les nombreuses personnes contraintes d'emprunter la route pendant les heures de rupture du jeûne sont obligées de payer cher faute de quoi, ils seront humiliés sur place. Autour d'une table très mal garnie et faute de contrôle, ces passagers continuent de souffrir du diktat des restaurateurs de la route. Tenez 1000 dinars et revenez toujours À l'issue de chacune des pauses, les chauffeurs et les receveurs des bus sont honorés au su et au vu de tous les passagers. Ainsi, en plus de la gratuité du repas et autres effets comme les bouteilles de jus, eau, et paquets de cigarettes, ces derniers ouvrent droit à un billet de 1 000 dinars en guise de remerciement pour leur mission accomplie avec brio. Les chauffeurs et les restaurateurs se connaissent tous tandis que les passagers n'ouvrent droit à aucune réclamation ni opposition. «On se contente de manger et d'assister à des scènes d'un autre temps sans pour autant pouvoir afficher une quelconque résistance», a déploré Ali ayant pris le bus de Béjaïa. «Le malheur des uns fait le bonheur des autres.» Cet adage s'applique bien aux restaurateurs des relais routiers. Rompre le jeûne, pourtant à un fort prix, et s'exposer à une éventuelle intoxication alimentaire tandis que défier le diktat de ces aubergistes appelle à une correction violente.