Happés par le mektoub, leurs enfants sont partis tenter «l'aventure du mariage» Il est là. Il continue à exister, biologiquement parlant. Il vit, c'est tout. Tout cela semble exagéré, mais pas pour lui. Son corps est vidé de toute substance «chaude». Ressent-il cette sensation vivante et perceptible à fleur de peau comme ce fut naguère quand ils étaient tous deux là en permanence. La vie en a décidé autrement, fort heureusement du reste. Détresse. Lui, c'est ce «père orphelin de ses enfants». «Ils», ce sont ses deux «seuls enfants» qui ont entrepris «l'aventure du mariage» au sérieux et sont partis, happés par «le mektoub». Ce père est devenu en moins d'un an, du jour au lendemain, beau-père ou «beau-papa» comme se plaît à le taquiner si agréablement sa bru. Seuls ou seules ceux qui ont vécu ce passage pénible peuvent témoigner de ce ressentiment que l'on accepte et que l'on subit en forçant son état d'âme en invoquant la destinée. On souffre en silence, dans le silence de l'absence de leurs chamailles sympathiques, leur odeur, de leurs mouvements. Les chansonnettes, qu'il leur arrive de fredonner, ne se font plus entendre. Pour le garçon, le son de sa voix psalmodiant voluptueusement les versets du Saint Coran pendant la prière, n'est plus. Celui-ci contribuait parfois avec aisance à une réflexion familiale avec cet air suffisant du nouvel adulte. Il était écouté «respectueusement» par toute la petite famille qui ne compte que quatre mem-bres. La «botte secrète» de la touche de sa fille pour parfaire et donner un «plus» à un plat, qui n'en demande pas tant d'ailleurs, manque à ses babines et à son regard condescendant et admiratif pour tout ce que réalise sa fille. Le complexe d'Œdipe est là, impitoyable. Il ne fait pas de cadeau. Il faut reconnaître qu'il est plutôt difficile, voire impossible, de ne pas se laisser piéger par ce sentiment «partiel» et trop philosophique, somme toute naturel, tant sa petite nichée lui manque terriblement. Elle lui manque non pas physiquement, ils viennent heureusement souvent les voir et même partager, chacun son tour, le f'tour du Ramadhan en famille, le garçon avec son épouse et la fille accompagnée de son mari. Ils égaient de nouveau la maison dont l'âtre assoupi revit comme un être vivant. A cette occasion, le foyer accueille de nouveau quatre personnes quand même à table, comme «jadis». Mais leur présence spirituelle, leur participation directe à la vie de tous les jours, les anecdotes rapportées hier lorsqu'ils étaient à l'université, aujourd'hui au bureau, leur façon d'apprécier les événements dont ils ont été témoins dans la rue, dans le bus, au volant de la voiture...ça manque terriblement. Ce complexe appelé d'oedipe, se vérifie plus cruellement, dois-je dire, chez la maman. Elle souffre en silence. Sa douleur est muette. Une autre femme, sa bru, lui a «ravi» son fils et a accaparé son affection filiale et maternelle aussi. Aucun d'eux, ni la maman ni le fils, et encore moins la bru, n'admettent cette vérité pourtant avérée depuis la nuit des temps, depuis que le monde est monde. Tous deux, la maman et son fils, par fierté difficilement contenue, se défendent de penser ainsi. Ils en souffrent toujours en silence et un mutisme complet entoure ce sentiment au demeurant fort noble. Il n'est pas facile de vivre ces premiers moments de séparation tant pour le père que (surtout) pour la mère. Lorsque les enfants quittent le nid dans une famille nombreuse, l'amère pilule passe mieux. On rabat l'excèdent d'amour sur ceux qui restent. On les chouchoute un peu plus. On se confie à eux...mais dans ce cas, la confidence mutuelle parents-enfants est bannie d'elle même par pudeur et pour les préserver. Chacun reste dans son camp et souffre en silence au détriment de l'autre. On ressasse les souvenirs, chacun pour soi dans sa tête, en regrettant certaines attitudes envers les enfants tout en voyant défiler le film «non-stop» de la vie récente et passée, dont les seuls héros restent les enfants. On appelle cette situation, à juste titre, «Sunnat el hayat». Qu'Allah les préserve!