Les enjeux ont dépassé les sphères sportive et économique pour s'inscrire dans le sociétal et le politique. Dans une semaine, le Onze national affrontera son homologue égyptien pour le compte du dernier tour des qualifications pour le Mondial sud-africain dans le chaudron du Cairo Stadium. Les Verts et les Pharaons se livrent une bataille sans nom depuis quelques jours en prévision de ce match décisif pour les deux teams. Une rencontre qui sera arbitrée par l'arbitre sud-africain Jérôme Damon. Le match sent déjà le soufre. L'enjeu en vaut la chandelle. Bien plus que sur le plan sportif. Les enjeux ont dépassé les sphères sportive et économique pour s'inscrire dans le sociétal et le politique. La passion de ce derby maghrébin va même au-delà des frontières d'un terrain de football. En effet, les observateurs sont unanimes à dire que le côté politique a pris le dessus, notamment depuis que le Président Abdelaziz Bouteflika a émis le voeu de voir les Fennecs prendre part au Mondial sud-africain, le premier organisé sur le continent noir, 24 ans après leur dernière participation au Mondial mexicain. Pour preuve, après les tentatives sans effet de plusieurs personnalités afin de calmer les esprits, ce sont les chefs des diplomaties algérienne et égyptienne, Mourad Medelci et Ahmed Aboul Gheit, d'entrer dans le jeu avec pour mission de tempérer les ardeurs pour que la rencontre du 14 novembre demeure ce qu'elle est et devra rester: un match de football, certes! Cependant, cette rencontre, somme toute banale et routinière, a pris une importance à connotation politique du fait de l'intérêt que lui accordent les hautes autorités des deux pays, dans le double sens sportif et politique. Au cours de l'entretien téléphonique, entre MM.Medelci et Aboul Gheit, ce dernier donna des assurances à son homologue algérien quant aux conditions de sécurité dans lesquelles évoluera la délégation sportive algérienne, supporters compris. Aboul Gheit a ainsi assuré qu'aucun débordement ne sera enregistré lors de ce derby arabe. Or, s'il y aura débordement, il n'est à craindre que du côté égyptien car il est inconcevable que 2000 supporters algériens, tel est le quota réservé par la Fédération égyptienne de football aux Algériens, puissent prendre le dessus sur au moins 80.000 spectateurs (dont 20.000 militaires) égyptiens déchaînés. Et sur ce point, la Fédération internationale de football est intransigeante. La sécurité des joueurs et des supporters incombe aux autorités du pays d'accueil. La Fifa a d'ores et déjà annoncé la couleur. La balle est désormais dans le camp égyptien. L'organisation de Blatter verrait d'un mauvais oeil qu'un match de football déborde de son cadre naturel - le sport - pour prendre des contours politiques. D'autant que l'année 2010 risque d'être celle de l'avènement d'un grand nombre de changements politiques d'importance dans le monde arabe. Sur ce point, l'Egypte, par la mise en place d'un nouveau gouvernement, n'y échappe pas en juillet 2010 en prévision de la présidentielle de 2011. Une présidentielle tout a fait particulière qui, sans doute, verrait l'entrée en lice du fils cadet du Raïs, Gamal Moubarak. En effet, même si Hosni Moubarak n'a pas, pour le moment, fait connaître ses intentions, quant à briguer un sixième mandat, histoire de maintenir le suspense, ce n'est pas un secret que de dire que le Raïs prépare son cadet à la passation de pouvoir. Dans cet objectif, une qualification au Mondial serait un trophée à verser, non seulement, à son bilan, mais aussi un tremplin pour Gamal Moubarak pour entrer dans la course sous les meilleurs auspices, et partant, obliger l'opposition à mettre un bémol à ses critiques quant à l'éventuelle transmission du pouvoir du père au fils, et qui condamne une telle opportunité et l'émergence d'une «République héréditaire» en Egypte. Si le foot permet de cimenter le sentiment national, il peut servir aussi à anticiper une reconnaissance diplomatique. Or, Gamal Moubarak, numéro 2 du parti au pouvoir, le PND, apparaît depuis quelques années comme le maillon central du régime. Bien plus, il semble faire figure de présidentiable tant auprès de ses interlocuteurs américains en visites officielles, qu'auprès du peuple égyptien, notamment en s'affichant aux côtés des «héros de la nation» et autres champions olympiques sur des panneaux bien en vue au Caire. De fait, lors de la Coupe des Continent qui eut lieu en Afrique du Sud en juin dernier, c'est Gamal Moubarak qui monta au créneau pour défendre les joueurs de «Misr Oum Edounia» éclaboussés par un scandale. Sur ce point, dans L'Empire du sport Pascal Boniface, directeur de l'Institut français de relations internationales et stratégiques, souligne qu'«au-delà du nationalisme, des prises de position politiques peuvent trouver dans les compétitions internationales une caisse de résonance inespérée». En somme, à moins d'un an des échéances électorales, les démentis des intéressés n'ont ni dissipé les doutes ni canalisé les méfiances spéculatives qui accompagnent chaque initiative présidentielle de réforme. Gamal Moubarak a ainsi réussi à imposer une grande majorité d'éléments issus de la nouvelle génération (sa génération) de politiques et membres du PND. Plus, dix-sept ministres du gouvernement Nazef nommés lors du remaniement de 2004, émanent directement de «club de réflexion» que dirige le ci-devant Gamal Moubarak. Sur ce point, l'opposition voyait déjà ses craintes et supputations se confirmer de voir le nouveau cabinet ministériel servir de catalyseur à l'accession de Gamal au pouvoir. «L'événement sportif et le soutien à l'équipe ou à la vedette nationale sont le plus sûr moyen de fédérer une nation, de consolider une identité nationale contestée. Les divisions sociales, ethniques, religieuses, régionales s'effacent. Le match de football est un référendum de 90 minutes au cours duquel la réponse est massivement ´´oui´´», conclut Pascal Boniface. Il n'y pas que le peuple qui s'exprime via le football, le monde politique aussi. Et voilà qu'on tente de métamorphoser les vedettes préférées en soldats de plomb au service de la cause nationale, pour ne pas dire intérêt personnel.