Moussa Tertag est un ancien journaliste de la presse écrite. Après plusieurs années d'exercice, il décide de s'investir dans le cinéma par passion. Les Ennemis de la vie est le titre de son premier film de fiction. Il en parle dans cet entretien. L'Expression: Est-ce que c'est votre première expérience dans le domaine audiovisuel? Moussa Tertag: En long métrage, oui. Mais j'ai déjà réalisé un documentaire sur le secteur de la santé de la wilaya III en 2007, intitulé Les blouses de la dignité. Comment l'idée de réaliser un film en kabyle est-elle née? Au départ, c'était un projet de roman. J'ai écrit une bonne partie puis j'ai arrêté, compte tenu de la situation du livre en général: inexistence d'un lectorat conséquent, peu de librairies et problèmes d'édition. J'ai pensé que si je transformais la trame du roman en scénario, il aurait plus d'audience. Mais le domaine du cinéma est aussi difficile, car il impose des moyens financiers énormes. Comment avez-vous procédé? C'est vrai. Notre équipe n'a pas obtenu de subvention de la part de l'Etat. J'ai pensé qu'il valait mieux faire un film indépendant. Il est évident qu'on pouvait réaliser un film en dehors des circuits étatiques. Il fallait avoir de la volonté ainsi que des personnes avec qui travailler et qui croient en le projet. Pour le financement, j'ai approché des personnes qui ont accepté de participer à ce film et en toute modestie, ils n'ont même pas demandé des remerciements sur le générique. Leur aide a été entièrement désintéressée. Comment avez-vous fait pour le choix des comédiens? J'ai fait appel à des comédiens qui activaient dans les villages et qui avaient l'amour du cinéma. Malheureusement, ils n'avaient pas encore eu la chance de jouer dans un film. Par exemple, parmi nos comédiens, je peux citer le chanteur Hocine Boudaoud de Tadmaït. Il y a aussi l'actrice Fetta Hocini qui avait déjà participé auparavant dans un autre film réalisé par Mokrane Hammar ainsi que Mohamed Azzouz ayant joué dans plusieurs pièces de théâtre. Combien a duré le tournage de votre film et où avez-vous tourné? En tout, cinquante-sept jours, mais nous avons travaillé d'arrache-pied et sans interruption. Le fait que la trame sociale du film soit limitée dans le temps, nous a facilité la tâche. Nous avons tourné dans la ville de Tizi Ouzou, à Azrou N'Thour, Tikjda, Tigzirt, Dellys et Ath Douala. Avez-vous buté sur des problèmes? Sincèrement, nous n'avons rencontré aucun problème. L'équipe a travaillé en totale symbiose. Les gens qui ont les moyens répondaient au fur et à mesure que les besoins se faisaient sentir. Votre film est réalisé en langue kabyle, est-il sous-titré? Le film est sous-titré en français et en espagnol, car il fera l'objet d'une projection, en Argentine, afin de faire découvrir l'une des facettes de notre culture et de notre société. Qu'en est-il de l'histoire du film justement? C'est un film qui joue beaucoup sur la symbolique. Pour moi, il s'agit avant tout d'un hommage aux femmes kabyles. Ces dernières ont la tête dans la modernité et les pieds dans les valeurs ancestrales. Le film est une sorte d'appel aux familles afin qu'elles communiquent plus. Omar, le personnage principal, frôle la catastrophe juste parce qu'on lui a caché certaines vérités sur sa vie. C'est aussi un cri d'alerte aux familles qui empêchent leurs filles de poursuivre leurs études. Pour le titre, Les Ennemis de la vie, je me suis inspiré de la chanson de Matoub Lounès. Les ennemis de la vie ne sont pas seulement ceux qui tuent mais aussi ceux qui empêchent l'intelligence de s'exprimer. Avez-vous des projets après ce film? Je dois d'abord laisser ce film prendre sa place. Nous allons capter toutes les critiques du public puis analyser nos points forts et nos points faibles à travers les débats. A partir de là, nous aurons une idée exacte et nous serons mieux fixés quant à la suite de notre parcours. Allez-vous participer au Festival du film amazigh en mars prochain à Tizi Ouzou? Je ne connais pas encore les critères de sélection de ce festival. En tout cas, les inscriptions restent ouvertes jusqu'au 5 janvier 2010. D'ici là, on aura le temps de prendre la bonne décision à ce sujet. On déplore souvent la qualité des films produits en langue amazighe. Un constat qui reflète quand même une certaine réalité. A quoi est dû cela, d'après vous? Pour réaliser des films de qualité, il faudrait qu'il y ait un environnement cinématographique adéquat. Sans oublier les moyens. Comment réaliser un film de 90 minutes sans disposer de moyens financiers importants? Il y a aussi l'absence des ressources humaines. Il faudrait que notre pays ait des écoles de cinéma. Sans oublier l'inexistence des salles de cinéma. Une ville comme Tizi Ouzou ne dispose d'aucune salle de cinéma, est-ce normal? C'est le cas aussi à Bouira et d'autres villes du pays. Les jeunes entre 15 et 25 ans n'ont pas acquis la tradition d'aller voir des films dans des salles de cinéma. Quand j'étais enfant, je me tapais 11 kilomètres à pied pour voir un film. Il n'y a que l'Etat qui pourrait remédier à cette situation. Mais l'Etat a consenti un effort dans ce sens, notamment en direction du film amazigh. Beaucoup de longs métrages ont bénéficié de subventions consistantes ces dernières années. Ce n'est pas suffisant. La subvention doit être permanente et non pas attribuée à l'occasion d'une festivité comme «Alger, capitale de la culture arabe» ou le Festival panafricain. Ces subventions ne doivent pas être là uniquement afin de combler un vide lors d'un agenda culturel donné. Pour aller de l'avant, il faudrait que la commission chargée d'étudier les demandes de subvention soit indépendante et composée de professionnels. Je pense qu'il faudrait subventionner des films qui vont plaire au public et non pas aux responsables. Une dernière question. Le problème de piratage des DVD nuit énormément aux réalisateurs qui ne rentrent même pas dans leurs frais après la sortie de leur film. C'est l'un des problèmes les plus graves que connaît la production de films dans notre pays. Ce phénomène casse des vocations, car si on ne rémunère pas un comédien, il finira par se lasser quelle que soit sa motivation. Il faudrait un dispositif de répression des fraudes pour combattre ce vol caractérisé des oeuvres d'art ainsi qu'un arsenal juridique pour préserver les droits d'auteur.