En 1989, les Américains avaient proposé un système axé sur les lois du marché pour réguler un problème écologique. Le plan fut accueilli avec scepticisme par la communauté internationale. Ce système d'échange des émissions, plus connu aujourd'hui sous le nom de «cap and trade» (plafonnement et échange) vise au fait, à réduire les pluies acides qui résultaient des émissions de dioxyde de soufre. Ces émissions rendaient les précipitations toxiques pour les forêts et étaient responsables de l'acidification des lacs et des cours d'eau du Nord-Est des Etats-Unis et de l'est du Canada. Dans le cadre du système d'échange des émissions, l'Etat imposait aux centrales électriques un plafonnement ou une limite sur leurs émissions de dioxyde de soufre, limite toujours plus serrée d'année en année. Le plan prévoyait l'octroi de «quotas de pollution» aux installations concernées et la création d'un marché d'échange. Ainsi, dans le cas où une installation n'atteignait pas son quota d'émissions, elle était autorisée à vendre son crédit d'émissions restant à une autre installation qui avait, elle, dépassé son quota. De nombreux législateurs, décideurs et groupes de protection de l'environnement trouvèrent au départ ce concept déroutant, explique Annie Petsonk, qui fut impliquée dans les consultations sur le système en tant que conseillère juridique au ministère de la Justice. Au Congrès, certains députés émirent des réserves quant à la création d'un marché pour un produit sans valeur comme les émissions. Les opérateurs des centrales électriques pronostiquèrent comme conséquence directe du plan, l'augmentation des coûts de production de l'électricité et certains représentants, principalement démocrates, d'Etats produisant du charbon ou de l'électricité craignirent que ces quotas n'eussent un effet négatif sur l'économie de leurs Etats. La majorité des groupes de protection de l'environnement qualifièrent le plan de «banqueroute morale» et les quotas d'émissions de «permis de polluer». Pourtant, ce premier essai de «capitalisme écologique» finit par aboutir, grâce à une alliance insolite entre un président républicain acquis à la cause de la protection de l'environnement, un groupe de députés (des deux partis) convaincus des mérites du marché pour régler les problèmes touchant l'environnement et l'Environmental Defense Fund (Fonds de défense de l'environnement) qui, selon Mme Petsonk, se dissocia des autres groupes de protection de l'environnement. Cette alliance donna lieu à un projet de loi instaurant le Programme des pluies acides que le Congrès finit par adopter en tant qu'amendement à la loi de 1990 sur la salubrité de l'air. Ce programme, une fois entré en vigueur, donna tort aux sceptiques et dépassa les attentes de ses défenseurs. L'objectif de réduction de moitié des émissions de dioxyde de soufre par rapport aux niveaux de 1980 fut atteint en 2007, soit trois années avant les délais autorisés (des critères encore plus rigoureux sur les émissions furent imposés par l'EPA en 2006 et permirent d'accélérer ce processus). Les émissions d'autres polluants furent également réduites de plus de 25%. D'après le Journal of Environmental Management, les bénéfices réalisés en termes de baisse des décès et des maladies, d'amélioration des lacs et des forêts et d'une meilleure visibilité dans le Nord-Est sont estimés à 122 milliards de dollars par an. Au milieu des années 90, dix Etats du Nord-Est élargirent le système de plafonnement et d'échange aux émissions d'oxyde d'azote qui contribuent aux pluies acides et sont responsables du smog et de l'ozone troposphérique. En 2004, lorsque le Programme NOx Budget Trading Program entra en vigueur, il concernait les émissions des centrales électriques et des grandes chaudières industrielles, qui sont responsables de près de 25% des émissions d'oxyde d'azote de vingt Etats et du District de Columbia, la capitale fédérale. Ce programme est également considéré comme une réussite, dans la mesure où les émissions d'oxyde d'azote ont connu une baisse de 75% par rapport aux niveaux de 1990, une réduction de 10% des émissions d'ozone troposphérique et une amélioration de la qualité de l'air dans la plupart des régions concernées, selon un rapport publié en octobre dernier par l'Agence de protection de l'environnement (EPA). Ces deux programmes ont eu un impact minime sur les prix de l'électricité et des effets bénéfiques à des coûts inférieurs aux prévisions car les opérateurs étaient libres de réduire la pollution avec les moyens de leur choix. Une société pouvait par exemple installer un filtre d'épuration sur les cheminées de ses usines, utiliser un charbon à faible émission de soufre, utiliser ces deux options ou acheter des crédits d'émissions. «Les parties concernées étaient motivées pour trouver une solution à moindre coût», ajoute Brian McLean, directeur du Bureau des programmes atmosphériques de l'EPA. Et elles trouvèrent des solutions. De nouvelles avancées technologiques accompagnèrent la réduction des coûts proposée par les pollueurs. Les gains de productivité dans l'industrie de l'extraction du charbon conduisirent à une baisse des prix, et la concurrence entre les opérateurs de chemins de fer contribua à réduire les coûts de transport du charbon à faible taux de soufre depuis le Wyoming et le Midwest jusqu'à la côte est. Par conséquent, les frais de mise en conformité pour les producteurs d'électricité sont restés en-dessous du seuil des deux milliards de dollars par an, soit deux tiers de moins que les projections de l'EPA. Initialement vantée par un président républicain, l'approche «plafonnement et échange» a aujourd'hui le vent en poupe principalement chez les démocrates. Le gouvernement Obama et de nombreux démocrates au Congrès l'ont soutenue comme la solution pour limiter les émissions de gaz à effet de serre qui sont une des causes du réchauffement de la planète. Certains républicains au Congrès et membres de l'industrie s'opposent à cette approche en rappelant que le Programme des pluies acides ne concerne qu'un seul polluant et seulement 700 centrales électriques. Un programme similaire pour les émissions de gaz à effet de serre devrait englober six gaz et des millions de sources d'émissions ce qui serait très compliqué à gérer, rappellent-ils. Pour M.McLean, le système «plafonnement et échange» s'est avéré efficace pour limiter les rejets de polluants dans l'air provenant d'une large gamme de sources tant que ces mécanismes s'accompagnent d'un système de contrôle très strict. Mme Petsonk, qui est aujourd'hui conseillère juridique internationale à l'Environmental Defense Fund, a déclaré que son groupe avait envisagé un mécanisme de plafonnement et d'échange pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dès le début des années 80. Mais le fonds avait finalement proposé que l'on applique cette approche aux pluies acides afin de la tester. Après des années de réussite, elle pense que ce système va être reconduit. «Le plafonnement et l'échange d'émissions se sont avérés un outil très efficace qui a favorisé l'innovation et réduit les coûts tout en atteignant les objectifs pour l'environnement», a-t-elle déclaré. De plus amples renseignements sur le Programme des pluies acides et d'échange des quotas sur l'oxyde d'azote sont disponibles sur le site Internet de l'EPA. Le Centre de la recherche énergétique et écologique de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) est une source d'informations sur la recherche effectuée sur les échanges d'émissions. Un cas d'étude sur l'histoire politique du Programme des pluies acides (PDF, 6.5MB) peut être consulté sur le site Internet de l'université de Pittsburgh.