En 1992, c'est dans le port d'Aden (sud du Yémen), qu'est commis le premier attentat anti-américain revendiqué par Al Qaîda. Le Yémen, sur le devant de la scène depuis l'attentat manqué contre un avion américain, est pourtant tout, sauf un nouveau front pour Al Qaîda dont il a, été le berceau, assurent à Sanaa experts et analystes. Si la branche yéménite du réseau semble plus active et dangereuse depuis quelques mois, c'est qu'elle a été restructurée et renforcée par des volontaires venus notamment du Pakistan ou d'Arabie saoudite, fuyant des répressions devenues plus efficaces, estiment-ils. Pour Saïd Al-Jemhi, spécialiste yéménite, «il ne faut jamais oublier qu'Al Qaîda a ses origines au Yémen. Ce pays a été le refuge, parfois temporaire, de milliers de combattants arabes rentrés victorieux du jihad contre les Russes en Afghanistan à la fin des années 1980». Là, contrairement à leurs pays d'origine qui se méfiaient de leur activisme, ils ont été reçus en héros du jihad. Certains Yéménites ont été intégrés dans les forces de sécurité. En 1992, c'est dans le port d'Aden (sud du Yémen), qu'est commis le premier attentat anti-américain revendiqué par Al Qaîda. La cible: un hôtel dans lequel les assaillants pensaient que résidaient des soldats américains en route pour la Somalie. Les GI's n'étaient plus là; deux morts mais pas américains. En 2000, 17 marins à bord de l'USS Cole sont tués par une attaque suicide au large d'Aden: l'attentat provoque une vigoureuse réponse des autorités qui coopèrent avec les Etats-Unis et les assurent de leur soutien après le 11 septembre 2001. Des dizaines de jihadistes sont arrêtés, des cellules démantelées. Mais Sanaa et Washington crient victoire trop tôt, assure Saïd Al-Jemhi: «Al Qaîda a été touchée, mais n'a jamais disparu. Elle a même multiplié ses partisans, surtout après l'invasion de l'Irak. Des milliers de jeunes sont partis y combattre, et aussi en Afghanistan». «Ce fut une période d'entraînement et de recyclage sur ces deux fronts. Ils n'étaient pas vaincus, ils étaient ailleurs. Et aussi en Arabie saoudite». Pour les analystes, notamment celui d'une agence occidentale de renseignements qui ne peut être identifie, «l'acte de naissance de la seconde génération d'Al Qaîda au Yémen est l'évasion des 23 prisonniers en février 2006» d'une prison yéménite. Parmi eux, les numéros un et deux de ce qui est devenu, en janvier 2009 après fusion, avec ce qui restait, de la branche saoudienne, Al Qaîda dans la péninsule arabique (Aqpa). «Ils ont reconstitué les réseaux de façon silencieuse et secrète et les premiers attentats, contre des sites pétroliers, n'ont pas tardé», ajoute l'analyste. Pour l'américain Gregory Johnsen, l'un des meilleurs experts occidentaux de la question, Nasser Al-Whaychi, l'émir d'Aqpa «a travaillé dur pour rebâtir Al Qaîda au Yémen. Il a pris garde à ne pas commettre les erreurs de ses prédécesseurs». La multiplication des attaques, contre des sites pétroliers ou des touristes, a permis à Al-Whaychi de «faire ses preuves et d'obtenir le soutien et l'adoubement d'Al Qaîda central, basé au Pakistan», estime Saïd al-Jemhi. Son organisation a ensuite montré son ambition régionale, en organisant en août 2009 un audacieux attentat à Jeddah contre le prince Mohammed ben Nayef, chef de la lutte antiterroriste saoudienne, qui en réchappe par miracle. Puis ses ambitions mondiales, en fournissant entraînement et explosifs au Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, qui échoue à faire sauter un avion de ligne américain le jour de Noël 2009. L'armée et la police yéménites ont depuis multiplié raids et attaques contre le réseau. Mais la lutte sera longue, prévient Saïd al-Jemhi, car «Al Qaîda est experte dans l'exploitation des erreurs de ses adversaires».