Le festival de Mostaganem a été placé cette année sous les auspices du dramaturge Kaki. L'hommage que rend Mostaganem au dramaturge Ould Abderrahmane, dit Kaki, (né le 18 février 1934 et mort le 14 février 1995), en marge du 35e Festival du théâtre euroméditerranéen, vient-il en son temps? La question mérite d'être posée d'autant que cet événement n'occulte en rien le fait que les hommes et les femmes de culture et les intellectuels algériens d'une manière générale continuent à n'être que le simple prétexte que l'on exhibe lors d'occasions ponctuelles comme celle du festival de Mostaganem. La culture, dit-on, est ce qui subsiste quand tout a disparu. En est-on vraiment convaincu parmi ceux dont la mission première était de conforter la création de l'esprit, sous toutes ses formes, notamment par la mise à disposition des moyens de sa promotion? Il y a lieu d'en douter, singulièrement, lorsque l'on relève qu'en maintes circonstances, la culture généralement, le théâtre particulièrement, ont pu mesurer la place, peu en rapport avec leurs capacités, qui leur est parcimonieusement concédée dans l'espace socioculturel national. Le quatrième art a produit de grands dramaturges à l'image d'Ould Abderrahmane Kaki, auquel sa ville natale, Mostaganem, rend hommage. Mais il n'y avait pas que lui, d'autres encore, à l'instar de Rachid Ksentini, Mahieddine Bachetarzi, Ali Allalou, Mustapha Kateb, Abdelkader Alloula, Azzedine Medjoubi, Kateb Yacine, Rouiched, aujourd'hui tous disparus, ont forcé le destin pour forger un théâtre à la mesure des ambitions de l'Algérie. Sans le courage de ces hommes, mus par le seul amour qu'ils portaient au 4e art, qui menèrent une lutte de tous les instants, avec des moyens souvent insignifiants pour imposer un art que d'aucuns considéraient comme superfétatoire, y aurait-il eu jamais un théâtre algérien? Car c'est bien grâce au «militantisme» désintéressé de ces hommes que le théâtre nationale a pu s'épanouir même si les conditions ne s'y prêtaient pas toujours. Sans remonter à un Ksentini ou à un Allalou, (ce dernier considéré, comme en témoigne Mahieddine Bachetarzi, comme le père du théâtre algérien, mourut dans la misère ignoré de tous), qu'a fait la société «reconnaissante» pour honorer ces hommes, (nombre d'entre eux durent prendre la route de l'exil pour assouvir leur passion des planches), qui n'ont demandé que peu de choses pour accomplir les fondements du théâtre national? Pourtant l'Etat qui est prodigue de ses milliards aura peu donné pour, d'une part, aider à l'émergence d'un quatrième art algérien, d'autre part, pour perpétuer la mémoire de pionniers qui ont joué un rôle majeur dans sa mise en place. Qui, aujourd'hui, se souvient de Mohamed Touri disparu dans l'anonymat à la fin des années 60? Qui s'inquiète de ce que sont devenus les Hadj Smaïn, Benguettaf, Sid Ahmed Agoumi, Benaïssa, Mohamed Adar, Abdallah Hamlaoui, sans les citer tous ici, qui donnèrent le meilleur d'eux-mêmes pour que vive en Algérie l'art dramatique, dont nombre d'entre eux vivotent, aujourd'hui, en France ou en Belgique. Où est cette relève devant pérenniser le quatrième art algérien? Comment se fait-il que le seul festival régulier existant en Algérie (il en est à sa 35e édition) continue à subsister et à se tenir grâce à la seule volonté d'hommes acharnés à le maintenir en vie, quand des milliards sont dilapidés dans des «shows» sans lendemain? Chaque année Mostaganem, au prix d'acrobaties délirantes, fait honneur au travail accompli par le regretté Si Djillali, en maintenant le miracle de la tenue d'un festival du théâtre. Ainsi va l'Algérie qui n'a jamais su dégager les moyens propres à encourager une culture nationale multiforme, dont le théâtre est l'un des vecteurs les plus probants. Cette situation de démission est parfaitement explicitée par l'exclamation du regretté comédien Hassan El-Hassani, lequel, sous forme de boutade, avait eu un jour ces mots: «Voici quelqu'un qui, toute sa vie, avait eu envie d'une datte, et voilà qu'à sa mort on suspend au-dessus de sa tête tout un régime.» Cela résume on ne peu mieux, l'état de déliquescence de la culture nationale tous secteurs confondus. Et les accommodements de dernière minute ne peuvent, en tout état de cause, constituer la politique culturelle que le secteur attend depuis des années.