«La sortie du film a cassé un carcan dans lequel l'Algérie s'est enfermée: une seule langue, l'arabe, une seule culture, pour ne pas dire un dogme, l'idéologie islamique, une seule tradition: l'unicité de la pensée à tous les niveaux.» La Colline oubliée, l'une des oeuvres majeures de l'écrivain Mouloud Mammeri adaptée au cinéma par le réalisateur Abderrahmane Bouguermouh, a été revisitée par un jeune étudiant en cinéma, dans un essai d'une grande profondeur et d'une rare pertinence qu'il a intitulé Rupture et changement dans La Colline Oubliée. A l'inverse des intellectuels contemporains de Mammeri, à l'exemple de Mostefa Lacheraf et Mohamed Chérif Sahli entre autres, qui ont accueilli en son temps, la parution de ce roman avec beaucoup de sous-entendus mettant en avant une certaine connivence de l'auteur avec le colonialisme, Larbi Oudjedi, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a mis en lumière le patriotisme des protagonistes de La Colline Oubliée grâce à une analyse sérieuse et fort documentée, digne d'un grand sociologue. Ventilé en sept chapitres, l'ouvrage décortique la vie des personnages du roman, leurs faits, les idées qui les animent. Pour le jeune auteur, les départs en exil constituent la première rupture avec l'ordre établi, en ce sens qu'ils libèrent l'homme de ses fausses certitudes: après une longue absence, il revient parmi les siens, avec une vision moins fataliste. L'amour impossible, conséquence des interdits de la société, engendre des révoltes qui mènent vers des remises en cause d'un ordre moral sclérosant. Même le typhus, une maladie qui décime des villages entiers, participe de cet éveil des consciences au motif qu'il met l'homme dans une situation extrême où il ne lui reste plus rien à préserver, donc le prédisposant à aller vers des changements. Pris dans les griffes de la misère sociale, asphyxiés par les traditions, victimes d'une injustice inhumaine de la part de l'ordre colonial, les habitants de Tasga, la fameuse colline oubliée, n'ont d'autre alternative pour aspirer à plus d'humanité que la rupture, voire la révolution comme l'annonce si bien l'auteur dans son introduction: «Tasga vit sa mutation, c'est le début de la rupture avec tous les ordres: ancestral, colonial, etc.» Sur un tout autre plan, Larbi Oudjedi voit en l'adaptation au cinéma de La Colline Oubliée, une grande consécration pour la langue amazighe: «La sortie du film La Colline Oubliée a cassé un carcan dans lequel l'Algérie s'est enfermée: une seule langue, l'arabe, une seule culture pour ne pas dire un dogme, l'idéologie islamique, une seule tradition: l'unicité de la pensée à tous les niveaux.» Pour un premier ouvrage, Larbi Oudjedi a fait montre de beaucoup de talent et de sagesse. L'écriture est des plus limpides, elle est dépouillée de toute redondance et lourdeur. A lire absolument. Rupture et changement dans la Colline Oubliée Paru aux Editions Achab/Janvier 2010