Les demandeurs de logement ont recours à la rue pour faire entendre leur voix. Le problème du logement continue d'attiser la colère de la population. Les autorités n'arrivent pas à résoudre cette crise.Pourtant, la réalisation de 1,3 million de logements promise pour la fin de l'année 2009 par le président de la République Abdelaziz Bouteflika, a été annoncée. D'autres projets ont été promis lors de sa dernière campagne électorale. Mais les résultats obtenus sont, aux yeux de certains, loin des attentes. La crise du logement a atteint ces dernières années des proportions insoupçonnées. Sur fond de corruption, elle devient une véritable menace pour la stabilité déjà assez précaire de la société algérienne. Le vieux bâti et les bidonvilles qui poussent partout comme des champignons, ajoutés au marasme d'une population fortement éprouvée, livrée à elle-même et qui a pour seul recours la rue ou les émeutes pour faire entendre sa voix, sont perçus par les observateurs comme une fracture. Le dialogue social est quasiment absent. La grogne, les cocktails Molotov et les barricades sont devenues le seul langage capable de remuer un tant soit peu les officiels algériens. Le problème de l'attribution des logements est souvent derrière ces manifestations récurrentes. Pas seulement. Les nombreuses promesses non tenues des officiels contribuent également à déclencher la colère des citoyens. Les dernières protestations en date sont celles de Oued Koreïche (ex-Climat de France) il y a quelques jours et celle de Diar Echems à El Madania (ex-Clos Salembier) le mois d'octobre dernier et qui a duré plusieurs jours. Le 19 février dernier, une forte explosion dont l'enquête par les services concernés n'a pas encore révélé l'origine, a eu lieu dans un immeuble de la cité Chevalley, appelée communément Marché El Kébir à Oued Koreiche dans la daïra de Bab El Oued. Cinq vies innocentes ont été fauchées, une dizaine de blessés dénombrés et d'importants dégâts matériels constatés dont des appartements complètement détruits. Sur le plan psychologique, c'est le chaos. Les stigmates de cette journée cauchemardesque sont visibles sur tous les visages. Traumatisés, des jeunes et des moins jeunes de ce quartier défavorisé, frôlent la dépression nerveuse. Comme si la douleur de perdre des êtres chers ne suffisait pas, le mépris des officiels a alimenté une détresse qui n'a pas tardé à devenir une colère destructrice. Et pour cause. M.Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Communauté algérienne à l'étranger, arrivé sur les lieux quelques instants après que le drame soit survenu, a promis de reloger les sinistrés dans un délai ne dépassant pas les 24 heures et ce, «sur instruction du président de la République», a-t-il précisé. Seulement, le délai est largement dépassé. Les sinistrés n'ont rien reçu. Quelques familles uniquement, huit au total, ont été relogées dans des chalets à Réghaïa, mais cinq jours après le drame. Une autre famille a été également relogée dans un chalet à Dergana. Cet état de fait n'a pas manqué d'attiser la colère des autres concernés. Trois jours après le drame, ils ont caillassé le siège de l'APC de Oued Koreiche et les voitures stationnées au parking, et ce en réponse aux promesses non tenues de Djamel Ould Abbès. Les responsables des collectivités locales et le département de la solidarité nationale n'ont pas daigné apporter aide et assistance à ces familles touchées dans leur chair. Elles passent encore la nuit, pour certaines, à la belle étoile et pour d'autres, chez des parents. Quelques familles ont regagné leur logement «la peur au ventre, dans l'angoissante attente d'être ensevelis sous un plafond», confie Djahida, avant d'éclater en sanglots. L'une des femmes qui a atrocement souffert de cette situation est Madame Fatiha Barkat (lire L'Expression du jeudi 25 janvier). Anémique, hypertendue et enceinte de sept mois, cette dame a passé plusieurs nuits dehors. La faim, la soif et l'épuisement constituaient son quotidien. Elle a été admise en urgence au CHU de Béni Messous pour accoucher par césarienne, le 31 janvier, d'un enfant prématuré. Sa famille a eu du mal à lui trouver une couveuse. Là aussi, aucun officiel ne s'est enquis de l'état de santé de cette femme qui était à deux doigts de la mort. La conseillère du ministre de la Solidarité et la chargée de la communication, sollicitées par nos soins le 24 janvier dernier, ont promis d'exposer le problème au ministre et d'envoyer, le lendemain, un groupe de médecins et de psychologues pour prendre en charge les familles éprouvées. Promesse non tenue. Les familles, surtout les femmes et les enfants, continuent de quêter un peu de sollicitude. Ce sont des êtres humains. Pour ce qui est des familles ayant bénéficié de chalets, elles ont affirmé que le ministre leur a promis que cette solution était «provisoire et durera, au maximum trois mois». C'est ce que nous a déclaré un membre de la famille Ben Yahia qui a perdu son frère et sa mère dans l'explosion. Cette promesse sera-t-elle tenue? Les concernés l'espèrent vivement. Dans d'autres lieux, la situation n'est pas très reluisante. Des promesses non tenues, elles sont légion. C'est ce qui est constaté à Diar Echems.Le quartier a vécu des émeutes qui ont éclaté le 18 octobre dernier. M.Noureddine Yazid Zerhouni, ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, avait promis que les habitants allaient bénéficier de logements en quelques semaines. Bientôt quatre mois, et rien n'a changé pour les quelque 1500 familles de ce quartier construit dans les années 1960 et qui se retrouve à l'état de bidonville. Ces familles continuent de partager des F1 où l'intimité est quasi inexistante. Des quinquagénaires n'ont pas encore fondé un foyer. D'autres, en désespoir de cause, ont préféré construire des baraques de fortune sur les parties communes où la saleté, les maladies, la misère et autres fléaux sociaux se côtoient. Se situant à seulement deux kilomètres du palais présidentiel, ce quartier des plus déshérités devait être restructuré il y a belle lurette dans le cadre du plan d'aménagement urbain de la wilaya d'Alger. Les habitants, eux, attendent sur des charbons ardents, une opération de relogement qui mettrait fin au pourrissement d'une situation qui perdure et qui s'aggrave. Rencontrés sur les lieux, des jeunes du quartier menacent de reprendre les émeutes. Ils ne sont pas convaincus par les promesses des officiels. «Nous sommes plusieurs à partager une seule pièce. On dort à tour de rôle faute de place. Et quand on reçoit des invités, les hommes de la famille passent la nuit dehors», confie Azzedine, 38 ans, célibataire. C'est là le lot de la quasi-totalité des familles de Diar Echems. Rabah a 45 ans. Il est célibataire, lui aussi. D'un ton déterminé, il explique: «Il nous ont rabattu le caquet avec le football. Maintenant que la CAN est terminée, on ira jusqu'au bout pour satisfaire nos revendications.» Selon lui, les autorités leur ont promis des logements. 300 familles devraient en bénéficier. Le relogement est prévu pour le 15 du mois en cours. «Cette fois, si la promesse n'est pas honorée, les jeunes du quartier promettent de reprendre les émeutes d'octobre dernier car l'enfer que nous vivons devient de plus en plus insupportable», disent les habitants. La position des responsables des collectivités locales, a elle aussi provoqué le courroux des habitants de Diar Echems et de Oued Koreiche. En effet, ceux de Oued Koreiche n'ont jamais été reçus par le président d'APC, le wali délégué de Bab El Oued ou le wali d'Alger. «Depuis le drame, il ne se passe pas un seul jour sans qu'on demande à être reçus par un responsable. Une vingtaine de femmes et d'hommes occupent chaque jour les sièges de l'APC et de la daïra. Les agents nous conseillent de revenir un jour de réception. Et dire que c'est une urgence! Et quand c'est un jour de réception, ils prétendent que les élus sont en mission ou occupés dans leurs bureaux», raconte, dépitée, Bahia. Au comble de l'indignation, elle ajoute: «Chaque fois, ils font appel à la police comme si nous étions de vulgaires malfrats. Heureusement que les policiers, même s'ils ne peuvent rien faire pour nous, ont toujours affiché leur sollicitude.» A se demander quel est le rôle de ces responsables une fois élus! Djahida, de son côté, n'y va pas de main morte avec ceux qu'elle qualifie d'«irresponsables». «Même nos morts, nous les avons enterrés sans la présence, ne serait-ce que du président d'APC. Leurs dépouilles ont été transportées de la morgue dans des véhicules appartenant à des particuliers. Une fois qu'ils sont élus, tout change en eux: leur attitude vis-à-vis de leurs concitoyens, leur langage et j'en passe», dit-elle. En effet, toutes nos tentatives pour connaître la position du ministre de la Solidarité, du wali d'Alger, du wali délégué et du président d'APC de Bab El Oued se sont avérées infructueuses. Mercredi dernier, pourtant journée de réception, le wali d'Alger était en réunion. Idem pour son chef de cabinet et même le responsable de la communication. Pendant toute la journée. Au ministère de la Solidarité, c'est le même scénario. Un tel constat reflète le niveau de la politique de gestion dans le pays. Le désintérêt des partis politiques est, lui, perceptible. Complètement indifférents aux préoccupations majeures des citoyens, ils ont brillé par leur absence à chaque fois qu'une émeute relative au logement éclate. Les blocages administratifs, la corruption et la bureaucratie ne seront pas tolérés pour longtemps encore. Le problème du logement, lui, demeurera omniprésent tant que les gouvernants ne l'auront pas résolu.