Démontrer en littéraire que «la douceur ne doit pas avoir de visage, sinon elle est mortelle». C'est du moins, ce que Yamilé Ghebalou-Haraoui, née à Cherchell, enseignante au département de français à l'université d'Alger, essaie d'expliquer en publiant son premier roman intitulé Liban (*); «Liban», ça tire l'oeil comme un grand drapeau symbole d'un renouveau de liberté claquant dans le vent de la tourmente meurtrière de la fin des années 70. En lisant cet ouvrage, c'est au peuple libanais que va notre pensée, à cette société paisible que le destin a soudain mise dans un vaisseau frappé de la foudre des rivalités et de la haine intercommunautaires entretenues par un dérèglement spirituel exacerbé. L'histoire malheureuse du Liban est longue. D'une certaine manière, elle s'était déjà révélée à nous, en 1860, lors des troubles confessionnels du Mont Liban qui s'étaient étendus à Damas. Notre glorieux émir Abd El-Kader qui y résidait alors contribua largement à leur apaisement. Ces terribles événements nous avaient navrés, avaient navré tous les peuples de conscience. À ce propos, dans une lettre datée 10/11 juillet 1862, adressée à Mgr Pavy, évêque d'Alger, l'émir Abd El-Kader déclarait: «Ce que nous avons fait de bien avec les chrétiens, nous nous devions de le faire, par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l'humanité.» Si l'on commente, on dira avec Boualem Bessaïh: «‘‘Pour respecter les droits de l'humanité'' ce qui, de nos jours, constitue une des prescriptions fondamentales de la communauté internationale (in Au bout de l'authentique...la résistance, p. 103).» Le drame libanais que Yamilé Ghebalou-Haraoui nous met sous les yeux, serait-il donc né de sa propre fatalité? L'héritage religieux avait tellement accumulé d'ambitions secrètes, que son destin n'avait pu cesser de se modeler et de se remodeler. À un intervalle de l'espace et du temps, sur la terre d'Algérie et sur la terre de Liban des violences avaient surgi, brisant le rêve le plus simple, celui de vivre en communauté humaine. Après Kawn (poèmes, 2006), Grenade (nouvelles, 2007) et Demeure du bleu (poèmes, 2008), l'auteur semble se servir de son Liban des années 70 comme d'un exutoire: préserver l'essentiel de la dimension humaine des événements tragiques, qui la préoccupe, que ce soit d'Algérie ou du Liban. Peut-être, la guerre civile libanaise ne serait-elle, a postériori, qu'un prétexte. Présenter de son point de vue la violence et ses effets dans un territoire fertile en «drames humains» et tenter l'exorcisme de ce mal, est très certainement honorable. La transposition, par allusion ou par comparaison des épisodes sanglants d'autrefois en Algérie et de la guerre civile du Liban est une technique littéraire, un artifice de rhétorique proche de la litote; ici, parler d'un pays pour rappeler un autre; ici l'usage du symbole autorise des libertés pour mettre en lumière les cris répétés de l'homme face à son destin. Serrons au plus fort le récit: L'action se déroule à Beyrouth, ville coupée en deux, en secteur Est et en secteur Ouest. Omar, un jeune algérien, marqué dès son enfance par l'image de son père assassiné, a fui son pays, «la terre rase et livide qu'il avait laissée derrière». Il rencontre Kamel en France. Leur amitié devenue profonde, Omar l'accompagne à Beyrouth, espérant trouver un refuge pour vivre en paix. Mais bientôt la violence le rattrape dans un Beyrouth à feu et à sang, en proie à la guerre civile. Kamel le tribun est assassiné. Omar, dont «la ville est lointaine là-bas, au bord de la Méditerranée», est désespéré; les malheurs de ce pays lui rappellent des images tragiques de son propre pays. Une rêverie étrange, douloureuse, se développe en lui en un dialogue onirique bouleversant. Il rencontre Schéhadé, aux doigts bagués, un riche joailler, qui lui offre un fort salaire de garde du corps de sa fille Esmet-Nour, une Franco-Algérienne. Arrogante, pour elle, Omar n'a que dégoût. Elle ne l'appelle même pas par son nom. Lorsqu'on lui demande «Qui est-ce?», elle répond avec mépris: «Je ne sais pas vraiment; c'est mon père qui le paie...» Or bientôt, à travers les rues défoncées et les immeubles détruits de la ville, un sentiment muet naît l'un pour l'autre. L'amour emplit les deux coeurs. Une nuit, Nour, qui «avait un visage tendre et frais, jadis», le conduit dans les labyrinthes effarants de la maison de son père. Il découvre l'oeuvre criminelle des miliciens...Mais dans la montagne de Firdowsiya, peut-être trouvera-t-il la paix intérieure tant recherchée, grâce au regard tendre du peuple que forment les enfants d'un Liban déchiré. Tandis que, «sous le regard de Esmet qui brille», Omar «est sûr, puisque les yeux de cette autre se sont ouverts en lui». La quête en paix de Omar, dans un pays en guerre, trouve son dénouement. Les personnages se présentent, par des feedbacks et des flashs bien amenés, expressifs, millimétrés comme un scénario de film à suspense et de héros aux visages multiples. On croit beaucoup à cette histoire où la fiction confirme la réalité: Yamilé Ghebalou-Haraoui qui, on le constate, a fait un sérieux travail de recherche documentaire, a de bout en bout sauvegardé, par son style clair et la subtilité de son écriture, la dimension humaine, c'est-à-dire aussi la présence du divin dans l'homme, cette parcelle de vie vers laquelle toute oeuvre algérienne doit tendre et la fertiliser pour être authentique dans son contenu et dans son esthétique. (*) Liban de Yamilé Ghebalou-Haraoui Chihab éditions, Alger, 2009, 180 pages.