Plusieurs jeunes Oranais ont tenté l'expérience, plusieurs ont voulu choisir des horizons meilleurs, mais sans y parvenir. Partir c'est mourir un peu et quand le départ prend fin sur le quai d'un port ou au fond des grands larges, c'est le suicide, la désillusion. C'est le destin forcé de plusieurs jeunes qui, dans leur fuite vers un quotidien plus rose, ne récoltent qu'amertume et désenchantement. El-hedda n'est que chimère et heureux celui qui saura résister à ses appels. Plusieurs jeunes Oranais ont tenté l'expérience, plusieurs ont voulu choisir des horizons meilleurs, mais sans y parvenir. Le voyage se prépare dans les rues sombres de Saint Antoine, de Saint Pierre, de Sidi Lahouari ou dans la cohue de la rue de la Bastille. C'est ici qu'on prend des contacts avec les marins, qu'on discute les prix, qu'on négocie les destinations. Tout se négocie, ça va des conditions de voyage, au maigre pitance de la traversée au séjour là-bas. Ahmed, un candidat malheureux au départ, dira qu'il a tenté d'embarquer depuis le port d'Oran à 3 reprises, mais que toutes ses tentatives ont échoué parce qu'il n'avait pas payé le silence des marins, celui des vigiles et de bien d'autres personnes qui végètent dans le port. «A chaque fois j'étais découvert par les éléments de la PAF, qui effectuent une dernière ronde avant la levée de l'ancre», dira-t-il. Découvert, il est conduit au poste de police, présenté au juge d'instruction, qui lui fait signer des P.V d'audition, avant d'être relâché. «Il m'est arrivé, à plusieurs reprises, de rencontrer les policiers qui m'avaient appréhendé et à chaque fois je leur faisais remarquer qu'ils m'avaient brisé. C'est devenu comme un jeu du chat et de la souris entre les policiers et moi», dira-t-il. Sur la place d'Oran on vous indique les ports depuis lesquels l'embarquement est facile, on vous donne des adresses en Espagne, on achète le silence de certains marins, le tout, bien sûr, moyennant finances. Ici, on raconte que tous les jeunes d'un quartier du centre-ville ont utilisé la même filière pour embarquer clandestinement sur des bateaux de passage à Oran. «Il suffit de prendre contact, de payer 60.000 DA et le tour est joué», dira un jeune très au fait des réseaux de harraga. Arzew et Oran sont les ports les plus prisés par ces réseaux qui agissent au vu et au su de tout le monde. «Tout s'achète», dira avec un sourire en coin un jeune qui se vante d'avoir envoyé en Espagne plusieurs candidats à l'émigration clandestine. Concernant le voyage, notre interlocuteur dira qu'il est recommandé de prendre 2 bouteilles d'eau, des dattes écrasées (ghars), de la chemma en lieu et place de la cigarette pour les fumeurs, car l'odeur du tabac brut pourrait attirer l'attention des marins du bateau. On parle à Oran d'un Espagnol installé à Malaga qui organiserait le départ depuis Oran et le séjour dans la péninsule Ibérique. «Carlos est un passage obligé pour tous les sans-papiers qui se trouvent en Espagne, il a ses complices, à Ceuta, Melila, Oran, Mostaganem. On dit même qu'il a des relais à Madagascar et au Cap», dira Saïd, un jeune de Sig qui révèle qu'il a trouvé du travail en Espagne moyennant ristournes grâce à ce Carlos. Il y a quelques années, les candidats à l'émigration clandestine n'étaient pas nombreux, parce que les jeunes, arrivaient facilement à obtenir des visas du consulat d'Espagne. «C'était facile, mais depuis que le réseau qui prenait en charge les visas a été démantelé en 1996, les choses ont changé et aujourd'hui les jeunes préfèrent tenter l'embarquement clandestin», avouera Houari, un jeune qui avait utilisé ce stratagème pour partir en Espagne et s'y installer. L'histoire des 3 jeunes Oranais qui avaient embarqué sur un navire battant pavillon philippin est le sujet qui revient dans toutes les discussions. Plusieurs de nos interlocuteurs nous diront que Houari et ses amis auraient pu connaître plus de chance s'ils avaient utilisé les réseaux qui ont l'habitude de travailler avec les marins des navires qui accostent le port d'Oran. Quand le bateau de retour d'Alicante pointe à l'horizon, plusieurs portent la main au coeur. Ils savent qu'en jetant l'ancre, il vomira une fournée de jeunes clandestins que la police espagnole a «chopée» à leur sortie des cales du navire croyant avoir atteint l'éden...