La vie de Dda l'Mouloud a été un combat continuel contre l'oubli. «Il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu'ils stérilisent c'est sûr», avait averti Dda l'Mouloud dans les entretiens accordés à Tahar Djaout, en 1986. Lesquels entretiens ont accompagné la nouvelle La Cité du soleil, parue en avril de l'année d'après. Ces entretiens consacrent la rencontre de deux hommes, deux poètes. La plume du journaliste, Tahar Djaout, scrutait les pensées de l'intellectuel Mouloud Mammeri qui a pu et su aller au fond de ses appréhensions. «Je pense qu'il n'est pas possible en 1986 d'être assis, certain, superbe; et le tout avec bonne conscience. Parce qu'en 1986, le vertige c'est celui des certitudes et des idéologies», avait averti d'emblée, Dda l'Mouloud. En ces termes, l'auteur de La Colline oubliée rejetait la position de l'intellectuel assis, bardé de certitudes et de bonne conscience. Là, il répondait à une interrogation du journaliste. La question était pertinente, la réponse fulgurante. Hélas, le sens profond de cette inquiétude allait paraître au grand jour de la manière la plus cruelle. A l'aube du multipartisme, Mouloud Mammeri allait trouver la mort. Le 26 février 1989, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans tout le pays. Le doyen des écrivains algériens est emporté par la «faucheuse». Il revenait d'un colloque d'Oujda au Maroc. Près de Aïn Defla, un accident de la circulation mit fin a la vie du doyen des écrivains algériens de l'époque. Quelques années plus tard, Tahar Djaout le rejoint au firmament, parmi les étoiles. Il fut le premier journaliste algérien victime des «Loups qui habitent la nuit». Pour sa part, le poète allait retrouver La Fiancée de la nuit sur les hauteurs de...La Colline retrouvée. Cet intitulé est celui du témoignage de Pierre Bourdieu, sociologue français, sur l'oeuvre de son ami et proche collaborateur. «En fait, toute sa vie aura été une sorte de voyage initiatique qui, tel celui d'Ulysse, reconduit, par de longs détours, au monde natal, au terme d'une longue recherche de la réconciliation avec soi-même, c'est-à-dire avec les origines.» La vie de Mouloud Mammeri fut un combat continuel contre l'oubli. Aussi, il préconisait aux minorités et peuples opprimés de se réapproprier leur culture. «Qu'est-ce qu'une culture vraie, si ce n'est un instrument de libération?», sous forme interrogative, Dda l'Mouloud définissait la fonction de la culture au sein d'une société. Surtout celle régie par l'oralité. Seulement, le savant avertissait contre la «folklorisation» du legs ancestral. «Le folklore n'a jamais été la culture du peuple, au meilleur des cas, c'est une caricature, au pire des choses, c'est une aliénation», affirmait Dda l'Mouloud. L'aliénation du peuple, voici le spectre qui hantait l'âme du poète et l'esprit du chercheur. Pour l'éviter, il entreprit un travail de recherche approfondi sur la langue amazighe. «Un difficile travail d'anamnèse qui, commencé avec son premier roman, significativement intitulé La Colline oubliée, mène aux derniers travaux consacrés aux poètes et aux poèmes berbères anciens, ces chefs-d'oeuvre qu'il avait patiemment recueillis», révèle, à ce propos, Pierre Bourdieu. Sur ce travail, Mohamed Arkoun, philosophe et historien de l'Islam, porte le témoignage de celui qui a connu Mammeri depuis sa prime enfance. Les deux intellectuels sont issus de Taourit Mimoune, le village perché sur l'une des sept collines des Ath Yanni, dans la wilaya de Tizi Ouzou. «Produit lui même d'une culture écrite, centralisatrice, urbaine, dominatrice, il ressentit très vite la nécessité de consigner par écrit les trésors qui ne vivaient déjà plus que grâce à de rares vivants ou résistants d'une culture orale menacée par l'oubli», écrivait le Pr Arkoun dans un ouvrage collectif Intitulé Littérature et oralité au Maghreb, l'ouvrage en question est publié en 1993. La plume savante de Mohamed Arkoun reprend les chemins qui montent vers les hauteurs. «Venez mes amis, quittez la prose du bas monde, venez apprécier la poésie des hauteurs pour voir votre peuple sans mensonge ni paradoxe», a cet appel de Dda l'Mouloud, Dda Mohammed remet son burnous. Sur le tuf ancestral, il retrouve celui qu'il appelle «L'autre moi». Ces retrouvailles inspirent à M.Arkoun un texte dont la réflexion profonde et évocatrice demeure d'actualité. Avec Mouloud Mammeri à Taourirt Mimoune, c'est ainsi que le philosophe a choisi de titrer son texte. Amusé, le poète lui sourit en déclamant cette sentence devenue célèbre: «Quel que soit le point de la course où le terme m'atteindra, je partirai avec la certitude chevillée que, quels que soient les obstacles que l'histoire lui apportera, c'est dans le sens de sa libération que mon peuple (et à travers lui les autres) ira. L'ignorance, les préjugés, l'inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement, mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l'on distinguera la vérité de ses faux semblants. Tout le reste est littérature.» Avec Tahar Djaout, Dda l'Mouloud reprend le chemin vers le firmament.