Le Festival de Cannes a présenté, hier, le film le plus explosif du moment sur la Croisette, Carlos, d'Olivier Assayass. C'est un film à la fois politique et artistique. 5h30 de film, aucune «star» au casting, plusieurs langues parlées (arabe, allemand, anglais, français, espagnol...) et surtout une exigence scénaristique qui disqualifie les clichés. Pour mieux parler de Carlos d'Olivier Assayas, nous avons rencontré l'un des principaux comédiens de cette superproduction de Canal+, Mohamed Ouardache, qui a été également l'acteur principal du film Bab El Oued City de Merzak Allouache. Avec Carlos, Mohamed Ouardache interprète son meilleur rôle cinématographique puisqu'il incarne le rôle de Belaïd Abdesslam, alors ministre algérien du Pétrole à l'époque de Houari Boumediene. Dans cet entretien, il nous livre son avis, en toute franchise, sur ce film et sur la situation difficile du cinéma algérien. L'Expression: Comment avez-vous été choisi pour interpréter le rôle du ministre du Pétrole, Belaïd Abdesslam? Mohamed Ouardache: Pour jouer le rôle de Belaïd Abdesslam, le réalisateur Olivier Assayas a fait un casting dans le monde entier. Il cherchait un comédien algérien qui se rapprochait de son personnage. J'ai fait le casting le plus normalement du monde et puis j'ai été sélectionné. Il ne faut pas oublier qu'Olivier Assayas vient des Cahiers du Cinéma et il est considéré comme le «Godard» des années 2000. C'est un authentique réalisateur et le film parle d'une histoire réelle: en France, la liberté de création est sacrée.Pour ma part, j'ai fait plusieurs rôles, comme dans Bab El Oued City, j'aime les rôles difficiles qui marquent. J'ai fait du comique aussi dans Babor El Dzaïr, c'était un bide total, mon rôle était comique mais la situation du rôle ne faisait pas rire. J'ai trouvé ça ridicule. Quels sont les moyens utilisés par la production de ce film? D'énormes moyens ont été utilisés pour ce film. Ils ont par exemple, utilisé le même avion pour la scène du kidnapping des ministres de l'Opep, un DC 9. Nous avons tourné à Beyrouth la scène de l'aéroport et plusieurs pays sont associés à ce film. C'est une superproduction qui sera diffusée dans dix-sept pays, donc on a mis tous les moyens possibles dans ce film. Contrairement à l'Algérie, le réalisateur ne se soucie pas des moyens. Il se concentre sur la mise en scène. C'est la production qui met les moyens pour la réussite du film. Il y avait un casting international, cinq langues parlées, deux directeurs de photo, deux caméras haute définition Panavision. Parmi les chefs opérateurs, Denis Le Noir qui a fait le dernier film avec De Niro et Al Pacino. Des artistes très modestes, y compris le réalisateur et la directrice de production. Le vrai cinéma à spectacle demande beaucoup d'argent et des professionnels. Le fait de jouer dans un film international et dont le réalisateur n'est pas algérien, c'est une avancée ou une promotion? C'est une avancée. J'ai joué dans de nombreux film, comme Bab el Oued City, Salut Cousin ou d'autres mais jouer dans Carlos, m'a permis de voir les choses en vrai professionnel. Je ne comprends pas pourquoi la TV algérienne ne diffuse plus ces films qu'elle a coproduits. Elle préfère d'autres films plus nuls, alors qu'elle a investi des milliards dans ces films. Mon dernier feuilleton algérien, réalisé par Dahmane Ouzid, a plus de trois ans. Il n'a pas été diffusé sous prétexte qu'on parle d'un soûlard qui passe son temps au bar. C'est la réalité! Pourquoi la cacher au téléspectateur. Si c'était un film français, ça ne poserait pas de problème, mais quand c'est un film algérien, ça dérange. Ils ont censuré beaucoup de scènes et aujourd'hui, il est toujours bloqué pour la diffusion.Quant aux réalisateurs algériens, ils n'aiment pas les vrais acteurs, excepté certains. Ils préfèrent ramener des comiques de sketch ou des mannequins que des comédiens qui ont fait le théâtre et qui ont de l'expérience. C'est aussi une façon d'économiser de l'argent et mettre le maximum dans leurs poches. Le cinéma n'existe pas en Algérie, il y a quelques films seulement. Il n'y a aucune politique cinématographique. A part, l'Entv qui, tous les ans, produit avec les mêmes «Charlots» pour Ramadhan... C'est triste! Ces gens n'ont aucune formation télévisuelle, ni cinématographique. Tout le monde est réalisateur, acteur et producteur à la fois. Tu as joué le rôle d'un islamiste dans Bab El Oued City, est-ce que ce rôle ne t'a pas empêché de faire autre chose? Avant Bab El Oued City, j'avais joué dans plusieurs productions. J'ai commencé avec Qabsa Chema dans le rôle de Super Maâchou, dans les années 80, qui a fait rêver plein d'enfants. J'ai joué ensuite dans Salut Cousin, un ex-flic exilé en France, un pécheur mal au point dans le feuilleton El Ouada de Dahmane Ouzid, L'examen de Hadj Rahim ou encore les Portes du silence de Amar Laskri. Je suis capable de jouer aussi bien dans un rôle comique qu'un rôle dramatique. Aurais-tu accepté de jouer le rôle d'un terroriste du GIA? Un acteur professionnel doit accepter tous les rôles, évidemment. C'est de la fiction. L'Algérie doit d'abord produire ses propres histoires et Dieu sait qu'il y a des choses à dire sur l'Algérie. Pourquoi ne pas jouer le rôle d'un émir du GIA? Le GIA a bien existé en Algérie. Un comédien doit être intelligent, bête et discipliné, et obéir au scénario. Ce qui compte le plus pour moi dans un film, c'est l'histoire. Et c'est ce qui manque aujourd'hui, chez nous. Il n'y a pas de vrais scénaristes et parfois les réalisateurs algériens refusent de travailler avec les gens qui savent écrire. L'écriture est un métier et le réalisateur doit savoir mettre cela en images. Le cinéma est un travail d'ensemble. Et l'acteur doit être à la disposition de cette grande équipe qui veille à le mettre en valeur. En gros, tout cela manque chez nous. Il faut évidemment des écoles de cinéma et pour faire bouger l'Algérie, ce n'est pas avec le pétrole mais avec la culture. Et si on n'avait pas de pétrole? Regrettes-tu de ne pas figurer dans le casting du film de Bouchareb? Non! Bouchareb a pris les mêmes comédiens que dans le film Indigènes. Comment peut-on faire appel à des comédiens marocains pour parler de l'Algérie. C'est comme Rachedi qui ramène un comédien syrien pour illustrer un héros national. Désolé! Est-ce que les cinéastes marocains, tunisiens ou syriens font appel à des comédiens algériens pour jouer dans leurs films? Avez-vous vu le film Frontières, le premier film algérien parlant des harraga? Il met en scène des comédiens africains. Pourquoi ce film n'a pas été programmé au Festival panafricain? Il y a beaucoup de choses à changer dans notre mentalité artistique.