«Nous sommes les oubliés de l'Algérie indépendante après 17 années de guerre pour l'Indépendance», souligne, avec amertume, un ancien maquisard. «Le fellaga est mort, Madame, annonça le soldat français.» «C'est rien, je m'en fous», répondit, Saâdia, veuve de chahid de Tichtiouine, commune de Aït Yahia Moussa dans la région de Draâ El Mizan. Ces quelques mots à résonance légère pour un Français sont lourds de sens, et encore plus pour une personne qui a vécu l'enfer de la guerre dans cette région qui a donné des milliers de chouhada. Un demi-siècle après, la région de Draâ El Mizan demeure dans un total dénuement économique. Après quinze années de guerre de Libération, la région est aujourd'hui à quinze mille lieues du développement. Oh, oui! A Draâ El Mizan, précisément à Aït Yahia Moussa, la guerre de Libération a commencé en 1947 lorsque Krim Belkacem rejoignait le maquis avec 17 compagnons, entre autres, le fils de Amar Moh Oussaïd, Cherchar Amar, Oudni Amar, Chadli L'hocine, Moussaoui Mohammed, Kaci Lounès et Arab Oulhocine. Sur les lieux, nous avons recueilli des témoignages de personnes ayant pris part à la guerre, ceux qui ont vécu les affres du napalm, des générations de l'Indépendance. A Aït Yahia Moussa, après 50 ans, les larmes n'ont pas encore séché. Les rivières et les maquis sentent encore la poudre. Ce reportage ne prétend cependant pas être de l'histoire, mais ce n'est là que des témoignages d'acteurs d'une région qui a donné cinq colonels à la Révolution et des centaines de martyrs. Nous avons fait parler des témoins qui ont survécu à des opérations militaires d'envergure dont les séquelles demeurent encore vivaces dans le vécu quotidien de 2010. Un sentiment d'injustice A Aït Yahia Moussa, tout le monde connaît l'histoire de sa région. De la fierté se dégage dans les propos de toutes les générations. Nous avons discuté avec des jeunes dans les cafés, avec les moudjahidine, avec les fils de chouhada et les veuves de chouhada. Fiers d'avoir donné autant de sacrifices pour l'Algérie, mais indignés par l'état d'abandon économique infligé à leur région, Draâ El Mizan. «Nous n'avons pour nous distraire que les cafés, le chômage est galopant dans notre région», affirme un jeune dans un café au chef-lieu de la commune de Aït Yahia Moussa. Malgré certaines améliorations entreprises ces dernières années, il n'en demeure pas moins que les communes de cette daïra figurent parmi les plus pauvres de la wilaya. Un autre moudjahid, plein d'amertume, s'indigne devant cette situation après une guerre sans merci livrée au colonialisme. «Tout le monde ici s'est sacrifié pour l'Indépendance, les jeunes, les vieux, les femmes, les vieilles. Même nos animaux ont été à nos côtés. Qui ne se souvient d'aghioul laâskar (l'âne de l'armée, Ndlr)? Il sentait l'ennemi et il nous avertissait», affirmait-il, indigné. «Nous sommes les oubliés de l'Algérie indépendante après 17 années de guerre pour l'Indépendance», souligne un autre quinquagénaire. Des hommes et des batailles «L'histoire de Aït Yahia Moussa est grande. La raconter nécessite beaucoup de temps. Il est vrai que la guerre de Libération a été déclenchée en 1954, mais ici, elle a débuté en 1947 avec Krim Belkacem», raconte le moudjahid Hocine Chettabi. «Il a rejoint le maquis avec ses compagnons. L'ennemi les appelait les bandits, après des années dans le maquis, certains de ses compagnons ont été tués d'autres capturés. Deux seulement ont survécu jusqu'au déclenchement de 1954, Krim Belkacem et Oudni Omar, dit Moh Nachid. Aït Yahia Moussa a été élue pour être la base de la wilaya, plus précisément au village Tachtiouine», poursuit-il. Pendant la guerre de Libération, la région a connu de nombreuses batailles. Le 15 mars 1955, à Tafoughalt, une grande bataille a opposé les deux armées. Le nombre de chouhada tombés au champ d'honneur varie selon les sources. Alors que certains dénombraient quelque 150, d'autres faisaient état de 70. Le 6 janvier 1959, une réunion était prévue pour organiser les rangs de l'ALN. Ils étaient 23 officiers dont Omar Ouessedik et Bouguerra. Ils devaient tenir une réunion dans la maison de Krim Rabah. Repérés, l'armée française a déclenché une grande opération de ratissage. A 6h du matin, le premier accrochage a eu lieu au village Ikelouachen, sur la route venant de Draâ El Mizan puis suivit un autre à Tighilt N'touila, sur la route de l'ex-Mirabeau, actuelle Draâ Ben Khedda. Toute la région était encerclée par 45.000 soldats mobilisés. Des armes de destruction massive ont été utilisées comme le napalm. Les opérations étaient dirigées du côté français par le capitaine Graziani qui a, par le passé, brûlé la Casbah d'Alger. Il sera tué lors de cette bataille. Il y aura également 385 martyrs. Une autre bataille opposera les deux armées, le 5 mars 1959. 250 martyrs sont tombés au champ d'honneur. Les chefs de la Zone IV Il y avait le chef de zone, le capitaine Ousmaïl Kaci dit Si Kaci né à Tamda en 1920, premier capitaine de la Zone IV. Il tomba au champ d'honneur en 1957. Le commandant Mahiouz Amar dit Si Ahcène est né le 5 novembre 1921 à Aït Yacoub, commune de Larbâa Nath Iraten. Son expérience de sergent de la Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale en a fait de lui un redoutable stratège. Il meurt en 1975. Le commandant Ali Bennour dit Ali Moh N'Ali est né à Ighil Yahia Ouali, le 10 mai 1927. Il participa aux premières opérations du 1er Novembre sous la responsabilité du colonel Ouamrane. Le commandant Aghri Mohand a rejoint la Zone IV en 1958 en remplacement d'Ali Bennour. Surnommé Mouh Saïd Ouzeffoun, il est né en 1930 et mourut au champ d'honneur en 1961. Le capitaine Krim Rabah, frère de Krim Belkacem, né en 1932 à Aït Yahia Moussa, après un passage à la Zone III, fut nommé capitaine de la Zone IV après le départ du capitaine et chahid Mouh Oussaïd Ouzeffoun. Il mourut au champ d'honneur en 1961. Le capitaine Oudni Omar dit Si Moh Nachid est né en 1926. Ancien membre du PPA, il a rejoint le maquis en 1947 avec Krim Belkacem. Beaucoup de vérités à rétablir Les témoignages foisonnent sur une multitude d'événements qui se sont déroulés pendant la guerre de Libération. Des faits, des chiffres et des dates sont l'objet de supputations. Lors de la bataille du 5 mars 1959, le village Tachtiouine a connu de grands combats. Certains témoignages évoquent 47 corps de chouhada qui n'ont pas encore été récupérés d'un abri où l'armée française les avait bombardés au gaz. Refusant de se rendre, ils seront tués à l'intérieur de leur abri de fortune, ils y demeurent toujours. Les fils de chouhada de la région demandent, depuis des années, que les corps soient transférés vers un cimetière et qu'une stèle soit érigée sur les lieux. Mais leurs démarches se heurtent à des réticences que certains n'hésitent pas a incomber aux autorités, à l'organisation des moudjahidine. «On nous dit que la situation sécuritaire ne permet pas d'effectuer des travaux dans la forêt, mais tout le monde sait que ce n'est pas vrai», affirme Ali Boussad, fils de chahid. Un ultimatum a été donné jusqu'à la date de la commémoration de cet événement. Les veuves de chouhada marginalisées Entre les veuves de chahids et les moudjahidine, le courant ne passe pas. «Mes sacrifices, je les ai consentis pour l'Indépendance de l'Algérie. Je n'ai que ma pension de veuve de chouhada. Pourtant, j'ai travaillé, j'ai caché des armes, j'ai fait la cuisine pour les moudjahidine», raconte Haddad Sadia. Beaucoup de veuves de chahids affirment avoir combattu aux côtés de leurs maris, mais elles n'ont jamais eu le statut de moudjahidate.