Le volet Cinémusique de la 3e édition du festival Diwan a pris son envol avant-hier à la salle Ibn Zeydoun avec la projection du documentaire Bled music à Lousine. Le nom du documentaire est bien évidemment un clin d'oeil à l'émission phare de la télé algérienne dans les années 1990 de Aziz Smati, et à ce vent de liberté qui a caractérisé cette période malgré les années de tragédie nationale. Coréalisé par Samia Chala et le chroniqueur touche-à-tout, Sid Ahmed Semiane, le film nous fait pénétrer dans les arcanes de ce temple de la création musicale à Paris, l'Usine où des artistes algériens, français ou «beurs» se sont réfugiés en toute liberté pour exprimer leur art en toute harmonie et fraternité. Le nom donné à ce lieu n'est pas fortuit, affirme Hocine Boukella alias Alho du groupe Cheikh Sidi bémol qui a vu naître l'association Lousine. «Nous avons gardé le nom de cette usine désactivée qui symbolise le travail des émigrés dans les années 1960-1970...» L'artiste kabyle Akli D. conforte cette impression en rappelant ses débuts difficiles où il était obligé d'aller chaque deux semaines à la police pour faire une déclaration de perte de ses papiers. Histoire de devancer la police. «On fait un métier grâce auquel les gens vous regardent différemment. Ils sont plus indulgents envers nous.» Si les artistes parviennent à s'en sortir, il n'en sera pas de même hélas, pour tout le reste des immigrés. L'exil est cependant une réalité pour tous. Chacun le matérialise à sa façon dans ses chansons. A Louzine, la musique gnawa joue avec le rock et le blues, le chaâbi tutoie le jazz, la musique kabyle danse avec les sonorités celtiques. Ici, des groupes tels que l'Orchestre National de Barbès, Zerda, Thalweg, Gaâda, Cheikh Sidi Bémol, se construisent dans une mixité féconde où se mêlent joyeusement les binious bretons et les qarqabous maghrébins et où les improvisations libres côtoient les refrains traditionnels et immuables. Les chansons en arabe, en kabyle, en français ou en anglais, souvent pleines d'humour, racontent le bled, l'amour, l'espoir, le quotidien, la vie. Si la période noire n'inspire pas trop Alho, avoue-t-il, c'est la vie sociale des petites gens qui trouvent écho dans ses morceaux plein d'humour et de mordant. La chanson El Bandit en est un parfait témoignage de ce contraste que vivent les émigrés, entre désir d'épanouissement dans leur pays d'origine et marginalisation en France. Outre les témoignages, la musique a sa part dans ce film. Alho chante aussi «La faute dylai» inspiré des paroles d'un clodo croisé dans la rue et walou sur le quotidien d'un jeune Algérien oisif. Le mal-être des émigrés est perceptible en filigrane à travers ce documentaire. Il en est même presque le fil conducteur. Une certaine émotion se dégage de ce documentaire réalisé aussi, entre autres par une fille d'émigrés qui n'a pu contenir ses larmes, quand pendant le débat un intervenant saluera ce travail de conservation de la mémoire de nos émigrés durant cette période tragique qu'a connue notre pays. La musique c'est connu, panse les blessures de l'âme. Le film qui retrace le travail de nos saltimbanques artistes redonne de la force à une certaine mélancolie induite à ces gens-là. Mais également de la joie et de l'émotion contenues incontestablement. Le montage est fluide et réfléchi, on croise à Lousine une multitude d'artistes. Des youyous de Fatima groove retentissent. Le groupe Gaâda de Béchar évoque le côté spirituel de sa musique. Zerda, Samira Brahmia, Azentar Yaness et Zalamite sont également passés au crible, rapidement. Aujourd'hui, l'association Louzine est dissoute. Réalisé avec peu de moyens en 2005, ce film laisse une empreinte indélébile de cette mecque musicale de Paris. «Quand en 1990, tous les musiciens débarquent d'Alger à Lousine, c'était un vrai lieu de rencontre et d'échange. Ce lieu a vu naître énormément de groupes et d'artistes. On a voulu raconter la mémoire d'une partie de notre histoire, celle de l'émigration des années 1990...», a avoué Samia Chala. Tourisme et musique africaine Côté conférence, la salle Frantz Fanon a abrité le même jour une rencontre avec Julien Raout, anthropologue et réalisateur, autour d'une communication portant sur «Le tourisme musical sur le continent africain». Cet ethnologue fera remarquer qu'il existe deux formes de tourisme culturel. L'un concernant les festivals culturels, l'autre l'apprentissage d'un instrument qui pousse les musiciens à revenir dans leur pays d'origine en compagnie de touristes, à l'instar de la Guinée, pour apprendre à jouer le djembé. Notre conférencier affirme que les pratiques touristiques ont changé. Aujourd'hui, le but est de rencontrer la population locale. Les touristes veulent tous se convertir à l'africanité. Soit à cause d'un certain malaise occidental ou par manque de repères. Ceci résulte de la mondialisation et l'apprentissage de la world music qui devient un discours fort dominant, notamment au festival de la Saouira. Cette promotion de l'identité cosmopolite de la région sert, selon M.Julien Raout, l'image du Maroc qui est désigné comme «un pays laïque patrimonial et ouvert sur le monde». «Les festivals travaillent sur l'image d'un pays. C'est parfois un combat de dimension politique au niveau des musiques choisies...». En Guinée par ailleurs, ce sont les artistes qui organisent des stages au profit des touristes qui refusent en général ce statut. Ce sont leurs instruments qui ramènent les touristes, nous apprend-on. Faute de touristes conséquents chez nous, l'Algérie devrait ainsi se pencher sur cette deuxième solution. «renforcer le cosmopolite dans tomber dans le cliché serait la bonne solution. Il faut aussi renforcer vos spécificités locales», nous dira enfin Julien Raout.