Théâtres fermés. Salles de cinéma désertes. Les Constantinois sont livrés à une chaleur suffocante. Le centre-ville de Constantine est toujours grouillant de monde en ce mois de juillet caniculaire. On a l'impression que tout le monde s'est donné le mot pour ne pas aller en vacances. La rue Larbi-Ben Mhidi appelée communément Triq djdida, une des principales liaisons des quartiers des hauteurs de la ville avec le centre, est caractérisée par une circulation infernale et une immense foule qui joue des coudes à la recherche d'un endroit ombragé pour échapper aux morsures d'un soleil implacable. Il est 10 heures. La météo vient d'annoncer des températures élevées. La journée s'annonce chaude, très chaude pour une population qui avoisine le million d'âmes dont la majorité se considère en résidence surveillée au rythme d'une vie qui se résume lamentablement entre le boulot, les commissions et les cités dortoirs- étouffantes. «Layali El malouf», une semaine consacrée à la musique constantinoise, viennent d'être clôturées et l'antique théâtre, le fameux TRC est de nouveau hermétiquement fermé en attendant une autre hypothétique activité culturelle. Le Théâtre de verdure dont la réalisation a coûté des milliards est en situation de stand-by: affreusement vide. Le Palais de la culture Malek-Haddad qui n'a de palais que le nom, fonctionne au ralenti. Mis à part quelques ateliers animés par des associations culturelles qui refusent courageusement d'abdiquer devant une fatalité paralysante ou des réunions officielles, le reste du temps, c'est le calme plat. Et les salles de cinéma! Il est très significatif de constater que les jeunes de moins de 25 ans ne savent même, si elles existent et ça veut tout dire. Le Versailles, cinéma situé au quartier de Sidi Mabrouk, fermé depuis plus d'une décennie, se trouve dans un piteux état. Le Rhummel, mitoyen du mythique quartier de Souika, s'est limité pendant un certain temps aux projections vidéo avant de tirer sa révérence. La cinémathèque avec ses deux salles est toujours en hibernation et le centre culturel Mohamed Laïd-Al Khalifa, situé en plein centre-ville, se contente de louer ses espaces pour la vente de livres. La salle ABC ne s'occupe plus de projections de films depuis qu'elle s'est spécialisée dans les concerts de rap et de R'N'B. A Constantine, c'est un pléonasme de dire que les jeunes souffrent du vide et de l'inactivité. Le ras-le-bol qu'ils expriment reflète parfaitement leur état d'esprit. Ils se sentent abandonnés par tout le monde. Leur vie leur parait fade et sans aucun sens. Vraiment, la cité du savoir et des savants semble avoir coupé tous les ponts avec la culture. Constantine en été, la troisième ville d'Algérie de par son importance, ressemble sans jeu de mots à une fournaise urbaine où les jeunes et les moins jeunes sont obligés de se consumer durant trois interminables mois. Certes, il y a quelques associations de quartiers qui essaient avec leurs moyens du bord d'organiser des virées au bord de la mer au profit des familles et des jeunes, mais ça reste en deçà des attentes. Il reste les nombreuses salles de jeu et les cyber comme lieux où les jeunes peuvent occuper leur temps; mais est-ce vraiment suffisant pour un jeune plein d'énergie qui a besoin de s'éclater? Dans le domaine du sport et des activités physiques, les quelques terrains mateco ne font plus l'affaire. Leur nombre ne suffit plus devant une demande qui va crescendo. Ironie du sort, Constantine qui avait donné naissance par le passé à d'authentiques champions en natation est complètement démunie en infrastructures nautiques. Le bassin semi-olympique du Centre régional d'éducation physique demeure la chasse gardée des abonnés et des membres de leurs familles! Dans ces conditions, ce sont plus de 90% des jeunes des quartiers populaires qui sont livrés à l'oisiveté et les risques qu'elle comporte. L'été, cette saison de l'ennui par excellence, constitue aussi la honte des familles constantinoises dont la majorité n'a pas pu adapter son programme aux vacances d'été de cette année qui coïncident avec le mois sacré de Ramadhan. Celles qui ont la chance de posséder un véhicule et la patience d'endurer une circulation folle sous un soleil de plomb abandonnent bagages et domiciles et s'échappent chaque fin de journée vers le plateau de Aïn El Bey où elles passent des heures à regarder les avions décoller et atterrir. Le soir, on se contente bien d'une glace ou d'une crème arrachée à un vendeur débordé par une clientèle pressée. Et puis, on se précipite chez soi dans une ville presque morte et très mal éclairée afin de se replonger dans une connexion Internet au débit chaotique ou devant une télé sans attrait. Constantine en été ressemble à un cahier vierge où on peut trouver néanmoins juste quelques graffitis exprimant la mal-vie de toute une population plombée sous un soleil de plomb!