Aujourd'hui, prendre un micro et monter sur scène n'est plus un rêve pour nos jeunes artistes en herbe. Si le concept de «star» s'apparente dans l'imaginaire collective à une vie de strass et de paillettes, en Algérie, cela ressemble plus pour certains à un désir de briller....sur scène. Bref, de se faire connaître enfin en tant qu'artiste, percer a fortiori dans un pays où le milieu artistique reste encore un mystère, régi par des lois ambiguës quant au statut de l'artiste...Si les jeunes des années 1990 étaient estampillés «Génération M6», ceux des années 2000 sont incontestablement marqués du sceau de la «Star Academy».Car, l'Algérie, toujours dans l'air du temps, n'a pas été épargnée par ce phénomène de mode, lancé en Occident puis relayé et copié en Orient. Celui qui veut être star aujourd'hui c'est l'occasion ou jamais! Cependant, ce serait faux de dire que cette mode a été rattrapée par la radio algérienne. Rendons donc à César ce qui lui appartient. «C'est la sixième édition de ce concours artistique. La première édition a eu lieu en 1997, c'était plutôt local que national. A l'époque, la télé réalité n'avait pas cours, il a fallu que celle-ci se réapproprie ce concept, pour qu'on nous colle l'étiquette de Star Academy à la radio, alors que les radios crochets ont toujours été des émissions radiophoniques et non télévisuelles», nous a souligné Malia Behidj, directrice des programmes à la Radio Chaîne III. Et d'observer: «Cette fois, il était question de sortir de la capitale. La radio émet sur tout le territoire national-car ce n'est pas la radio d'Alger mais la radio d'Algérie-Il faut reconnaître à l'équipe de l'émission Turbo Music d'avoir fait un travail colossal. Elle est allée à la rencontre de ces jeunes artistes à travers neuf wilayas des plus fructueuses à savoir, Alger, Tizi Ouzou Bouira, Béjaïa, Annaba, Constantine, Oran, Chlef, Mostaganem, Tlemcen, Laghouat, Ghardaïa... Aussi, les radios locales ont grandement joué le jeu, en invitant les jeunes à s'inscrire en diffusant un spot. Un énorme travail a été entrepris sur place. Une fois qu'on avait trouvé un artiste, c'est un petit réseau qui se crée. Ça marchait ainsi, par le bouche-à-oreille. Ils se connaissaient tous, chacun ramenait l'autre, et les sélections ont été hallucinantes de qualité. Dans l'ensemble, il y a environ une centaine de jeunes qui ont été auditionnés, il y eut une présélection, il fallait éliminer les casseroles et garder les perles, on avait une dizaine de perles par wilaya. Il y avait une équipe qui se déplacait composée seulement d'Amina Aïssi, un ingénieur du son, Mohamed Brakni, un bon chasseur de talent, il s'occupe du département musique à la radio, et le réalisateur HBB, un danseur qui connaît un peu le milieu musical. C'était important de donner une dimension nationale à ces jeunes issus des quatre coins du pays.» En effet, l'émission radiophonique qui émet sur Alger Chaîne III, Turbo Music est un concept original qui existe depuis plus d'une dizaine d'années. Elle est animée et produite par Amina Aïssi. «Nous sommes là pour encourager nos jeunes à créer et les aider à se faire connaître, Ceux qui seront probablement sur la scène musicale de demain, sont là dans Turbo Music», nous a fait remarquer Amina. Défricheuse de talents, cette émission,elle l' organisa le 4 juillet dernier, à la salle Atlas, un mégaspectacle, la finale du 6e concours musical national ayant brassé toute l'Algérie à la recherche de nouveaux talents qui brilleront admirablement dans 5 catégories, à savoir, meilleure voix masculine, meilleure voix féminine, meilleur compositeur/auteur et interprète, meilleur groupe et Prix spécial du jury. Nous avons été à leur rencontre à la radio et assisté en direct à leur passage dans l'émission Turbo Music. Deux heures de confession, de partage, d'humour, de musique et d'émotion! Ils partagent tous le même rêve, le même espoir et l'envie de devenir un jour chanteur connu et reconnu. Star? Pourquoi pas! Tous, s'accordent à le reconnaître, à demi-mot ou avec le sourire.. Briller par leur talent en tout cas, oui incontestablement! La voix (e) de la passion Nous nous dirigeâmes vers eux au pif, par instinct. De prime abord, content d'être arrivés à ce stade de la compétition, ils nous ont tous fait part de leur bonheur de se rencontrer et de vivre une expérience enrichissante, unique à leurs yeux. Comme dans une bulle, ces jeunes vivaient en effet des moments qui seront marqués à vie dans leur mémoire...Yousra de Sétif a été élue seconde dans la catégorie meilleure voix féminine. Elle a été retenue suite à son interprétation réussie de Hero de Maria Carey. Candide, la belle blonde confie un peu timide: «Je ne connaissais pas Turbo Music, on m'a appelé et on m'a dit qu'il y avait le casting. Je fais de la musique depuis que j'étais enfant, j'adore chanter, je voudrais faire une carrière de chanteuse, ce n'est pas devenir star pour être star c'est d'abord avoir son propre public, de choisir ses chansons, ses textes, ce n'est pas donné à tout le monde, ce n'est pas tout le monde qui réussit, je rêve depuis que j'étais enfant de devenir chanteuse, je suis étudiante en médecine. Je jouais du piano mais j'ai dû arrêter par manque de temps, je sais qu'en Algérie, ce n'est pas évident de faire une carrière de chanteuse mais si je pouvais le faire, je le ferai!» De son côté, Yasmine d'Alger, 22 ans (elle porte le voile), étudiante en langue française à Beni Messous, élue meilleure voix féminine, nous a déclaré: «J'ai toujours aimé chanter depuis que j'étais enfant, j'ai fait partie de plusieurs chorales depuis le primaire. Je ne peux pas vivre sans musique. C'est un exutoire, de l'oxygène, je ne passe pas une journée sans écouter de la musique ou chanter. C'est la première fois que je participe à un concours, j'avais envie de monte sur les planches et s'il y a une opportunité pour faire une carrière plus tard, pourquoi pas?...». Côté garçons, Amine Dib d'Oran, 29 ans est arrivé second dans la catégorie meilleure voix masculine. Star à lui tout seul, quand il monte sur scène dans un resto chic d'un grand hôtel à l'est du pays, il est entièrement dans son élément. Amine possède déjà son groupe, le Jazz and soul project, et projette de sortir un album incessamment. Il affirme: «La musique est née en moi, elle court dans mes veines, je suis chanteur, je vis de ça.. J'ai envie de devenir star, oui, comme tous les artistes (sourire), la musique me permet d'exprimer, de dégager beaucoup de choses...» Imitateur de talent, Ahmed Lamri est le plus âgé des candidats. Il a 43 ans. Le 4 juillet dernier il a impressionné tout le monde en reprenant les voix de tous les artistes du tube We are the world, à l'exception de Michael Jackson. Un exploit hors pair qui a été chaleureusement ovationné. Serein, il nous a confié peu avant: «Pour moi, c'est de chanter qu'il s'agit, la musique, elle, représente tout, bien sûr, j'ai rêvé d'être star, je suis musicien, je joue au synthé et à la basse et je chante pour le plaisir. Je suis gérant d'un hôtel, je possède un hammam, deux salles des fêtes, mais la musique trône toujours dans mon coeur. Ce qui importait pour moi c'était de voir la salle Atlas et de chanter dans une salle qui peut contenir une centaine de personnes...» En plus des chanteurs, l'émission Turbo Music a pu mettre la main sur de nombreux groupes venus de partout. Absolut, Algorythmes ou encore Illusion, qui a eu déjà à se produire au Festival Dimajazz de Constantine. Il briguera à la salle Atlas le Premier Prix dans la catégorie Meilleur groupe. Notons que les lauréats de ce concours ont bénéficié de l'enregistrement de leurs albums dans les studios de la Radio algérienne et la chance de se produire en première partie des festivals de Djamila, de Timgad et du Casif. Un phénomène social important Si, aujourd'hui pour ces jeunes amateurs, chanter à la radio et monter sur scène, sont rentrés dans les moeurs, il y a une quinzaine d'années cela relevait presque du phantasme. Le coach de l'émission Turbo Music, Mounir Dendane, sociologue de formation, nous explique ce phénomène non sans manquer de nous faire constater l'incroyable énergie humaine et le talent de ces «graines de stars» «Ce qui est formidable est qu'il n'y ait pas d'hégémonie d'une wilaya sur une autre, chacune a son potentiel. Ils sont magnifiques, le must a été réuni après une longue sélection. En fait, la mission de Turbo Music est, d'une part de découvrir, d'animer et faire aimer la musique et d'autre part, attirer l'attention sur ce potentiel-là auquel personne n'a tendu la main. J'en appelle aux institutions régionales pour aider ces artistes. La radio leur a offert la possibilité de jouer, de répéter. Il faut faire un sondage, chercher ces jeunes de 20 ans qui ont plus de punch que nous. Avant de les soutenir, il faut qu'on les trouve partout sur tout le territoire national...». D'un point de vue social, cette éclosion de jeunes artistes en herbe et surtout leur visibilité, est imputée, selon M.Dendane aux médias, c'est-à-dire aux ondes des télés étrangères même si Turbo Music s'est penchée bien avant sur ces jeunes. Seulement, dit-il «c'est une question de volonté. J'en suis convaincu. Grâce au développement des moyens de la télé, de la radio et Internet, cela crée un champ d'émulation, un effet boule de neige, tous ces gens-là commencent à se reconnaître et se rencontrer entre eux, c'est un phénomène social très important. Là, on commence à avoir une ligne de conduite, cela existait il y a une dizaine d'années mais c'était tû, passé sous silence. Aujourd'hui, il y a émergence de ces talents grâce aux médias et aux parents qui entendent parler de ça, de plus en plus et laissent leurs enfants s'adonner à l'apprentissage de la musique, dans les conservatoires etc.». Et de faire remarquer à juste titre: «C'est un phénomène qui commence à faire bouger la société, sur le plan culturel. Il y a une certaine ouverture de l'esprit qui s'opère au niveau des mentalités.» Saluant l'oeuvre «généreuse» de Turbo Music, le coach soutient que dans toutes les wilayas où les auditions ont eu lieu, tout le monde en parle aujourd'hui. «On connaît qui a passé le casting, l'émission a suscité de nouveaux comportements sociaux. D'aucuns veulent essayer de faire comme...Les wilayas peuvent s'enorgueillir d'avoir le champion ou la championne en titre de Turbo Music, le gagnant ou la gagnante, symbole de la wilaya. Enfin, une ouverture d'esprit que l'école ne donne pas et l'université encore moins. A la fac, c'est la course au module, à notre époque, c'était la musique, le sport, le championnat interfacultés etc, cela n'existe plus. Donc, ce mouvement-là, j'espère qu'il va faire revivre cette jeunesse qui a la pèche, ce qui est absolument merveilleux!»