Jalouse de son authenticité, la Syrie tente aujourd'hui de s'ouvrir sur le monde, sans pour autant renier son passé. Berceau de plusieurs civilisations, la Syrie demeure une attraction pour les touristes occidentaux, asiatiques et arabes. La Citadelle de Damas, les souks, les hammams, la mosquée omeyyade, un des plus célèbres monuments de la capitale syrienne, les cathédrales, l'antique cité de Bosra, les villes pittoresques de Maâloula et Suweida, et enfin le fameux restaurant Bawabet Dimachq, dont on dit là-bas qu'il est le plus grand restaurant du monde, demeurent très bien conservés et attirent pendant les douze mois de l'année des milliers d'étrangers et de Syriens. En fait, le temps n'a pas affecté les monuments qui sont encore intacts. Dans ce pays, l'histoire s'écrit à ciel ouvert. Dans chaque parcelle de cette terre, on découvre un pan romain, un autre ottoman ou un autre babylonien dans une cohérence nulle part ailleurs. La Syrie de Bachar El Assad, très jalouse de son authenticité, tente aujourd'hui de s'ouvrir lentement sur le monde extérieur, sans renier son passé. Situé dans une zone de troubles, le pays est au centre de plusieurs conflits, à commencer par la Palestine, le Sud Liban, l'Irak, le nord de la Turquie et l'Iran. Il faut dire aussi que les bonnes relations entre Damas et Téhéran ainsi que l'appui apporté au Hezbollah libanais et la résistance islamique du Hamas palestinien constituent aujourd'hui le point de discorde entre Syriens et Américains. Cette situation créée de toutes pièces par le lobby sioniste à Washington pénalise fortement la Syrie dans sa politique d'ouverture malgré les bonnes intentions exprimées par Bachar El Assad en personne ou ses ministres. A Damas, à Alger, à Aden ou même au sein d'une bonne partie de l'opinion publique occidentale, la politique américaine vis-à-vis de la Syrie est considérée comme une sorte de chantage qui ne dit pas son nom. Le rôle stabilisateur joué par la Syrie au Liban, critiqué par les Américains et diabolisé par les Israéliens, ne lui a pas été pardonné par les partisans de la partition confessionnelle au pays du Cèdre. Tout a été fait pour l'impliquer dans les coups fourrés instigués par les barbouzes à la solde de Tel Aviv, afin de l'isoler sur le plan international. Une sorte d'embargo de fait. Sans ressources naturelles et souffrant de «stress hydrique» depuis des décennies, la Syrie tente, tant bien que mal, de gérer ses insuffisances avec beaucoup de rigueur dans un contexte international qui ne lui est guère favorable. Mais l'essor que connaît le tourisme, l'agriculture, les services et aussi une industrie textile et pharmaceutique en plein essor, assure aux Syriens des richesses moyennes essentielles mais dont la répartition inéquitable a provoqué des disparités sociales criantes. Terre de refuge Cela est d'autant plus visible dans les grandes villes de Damas et Alep. Cette dernière compte plus de cinq millions d'habitants. Centre industriel du pays et coeur névralgique des grandes opérations commerciales, Alep semble plus moderne que la capitale, et c'est tout à fait normal dans la mesure où Damas détient plutôt l'exclusivité culturelle et intellectuelle d'un pays qui n'a jamais cessé de payer chèrement sa proximité avec un Irak dévasté. En 2003, le pays avait accueilli plus de deux millions de réfugiés irakiens, fuyant la guerre et l'invasion américaine. Cet énorme flux de migrants avait fortement déséquilibré les dépenses publiques d'un pays qui arrive difficilement à faire vivre 20 millions d'habitants. Rencontrés au gré de nos escapades nocturnes particulièrement, car il fait une chaleur caniculaire dans la journée, des Syriens parlent avec une certaine liberté de leur vie. Pour la majorité, l'ère Bachar El Assad a apporté beaucoup de fraîcheur à une société qui se débarrasse lentement, mais sûrement de l'héritage laissé par le père Hafed El Assad. On critique plus et des intellectuels de diverses tendances n'hésitent plus à contredire le discours officiel par le biais du cinéma, du théâtre et du livre. Certes, le régime demeure fondamentalement policier. Cependant, on ne manque pas de nous rappeler que cela est encore nécessaire afin de faire face aux tentatives d'infiltration israéliennes. L'argument est au demeurant solide, mais bon nombre de Syriens pensent qu'il est trop zélé. Blacklisté par les Américains en raison de ses liens étroits avec l'Iran, le régime alaouite s'est carrément tourné vers Téhéran. Les échanges entre les deux pays sont impressionnants, en plus d'une complémentarité politique de haut niveau, regardée avec suspicion par plusieurs pays de la région. En deux mots, c'est le contexte politique régional et l'attitude jugée «indisciplinée» et non digne de confiance par les puissances occidentales et alliés naturels d'Israël, l'ennemi juré de la Syrie, qui constituent jusqu'à aujourd'hui, un sérieux obstacle que ce dernier pays tente de dépasser, non sans un certain succès d'ailleurs. Sur le plan du transfert technologique, le pays souffre beaucoup de l'intransigeance des Occidentaux à son égard. L'ère Bachar El Assad Dans le domaine des télécommunications et des médias électroniques par exemple, le pays accuse un grand retard que le régime en place exploite à son profit afin de maintenir son hégémonie sur une société en mutation. En effet, même s'il est accrédité d'une bonne conduite plus ou moins ouverte, El Assad, le fils, ne s'est nullement désengagé du plan stratégique tracé par son défunt père. La situation s'améliore, mais reste insuffisante aux yeux de nombreux Syriens, avides de renouveau, mais foncièrement attachés à un passé vénéré. La mémoire de Salah Eddine El Ayoubi, le conquérant et le libérateur de Jérusalem, est toujours présente dans les esprits. Le palais de l'Emir Abdelkader, réhabilité dans le cadre d'une convention signée entre la Syrie et l'Union européenne, est devenu un important centre spécialisé dans la gestion du développement local. Le palais a servi pendant des années à abriter des réfugiés palestiniens. Comme quoi, ce monument séculaire n'a pas été versé aux archives ou dans la longue listes des vestiges historiques visités à longueur d'année par les touristes. La mémoire de l'Emir Abdelkader et son rôle éminent dans l'extinction du feu de la fitna entre musulmans et chrétiens, lors de son exil syrien, sont encore vivaces dans un pays dominé par l'idéologie laïque du Baâth. En effet, Michel Aflak, le fondateur de ce courant arabiste, est né en Syrie! Une Syrie qui refuse toujours de faire des concessions et qui veut être considérée comme un partenaire à part entière dans la résolution du grand conflit du Proche-Orient. Malgré ces avatars géostratégiques, la Syrie reste une destination privilégiée pour des milliers de touristes étrangers, européens essentiellement, qui viennent admirer les églises d'Alep, de Damas et de Maâloula, ce grand village du mont Kalamoon et habité par des chrétiens et des musulmans qui utilisent encore l'ancienne langue araméenne à côté de l'arabe. Dans le domaine des sites du culte, les mosquées ne sont pas en reste, en particulier les plus anciennes et les plus célèbres, à l'image de la mosquée des Omeyyades contiguë à la basilique de Jupiter, et construite par le calife Al Walid Ben Abdelmalek. On peut citer aussi la mosquée Khaled Ibn El Walid, construite par le sultan ottoman, Abdelhamid. Au-delà de tous ces aspects civilisationnels, la Syrie se révèle au grand jour, une destination de choix pour tous ceux qui ont envie de découvrir le monde, au vu de la diversité des cultures qu'elle renferme et qu'elle se fait l'honneur de sauvegarder dans un esprit de tolérance et d'existence pacifique entre les religions.