La grande distribution fait entorse à sa stricte neutralité politique et religieuse pour happer ce marché représentant 5,5 milliards d'euros. Viande halal, épices ou couscoussiers sont à l'honneur dans certains grands magasins et hypermarchés en France, à l'occasion du Ramadhan, temps fort de la consommation chez les musulmans, même si certaines enseignes hésitent à faire de la publicité à ce sujet. Dans les allées du magasin du groupe Auchan de Bagnolet (banlieue parisienne), les merguez halal, les dattes, les épices et les fruits secs sont en promotion. En tête de gondole du rayon «apéritifs», l'accent est mis sur les saucissons «halal». Chez Carrefour à Montreuil, la ville voisine, pâtisseries orientales, viande halal et feuilles de brick bénéficient de réductions. Le discounter Lidl fait également des offres sur les tajines en conserve ou les kefta (boulettes). Mais dans aucune de ces enseignes, il n'est question du Ramadhan, qui commencera au milieu de cette semaine. Les catalogues publicitaires parlent de «parfums d'ailleurs» ou de «saveurs d'Orient», sur fond d'écriture se voulant arabisante ou de Touareg marchant dans le désert. Les grandes surfaces «sont encore dans la situation où elles estiment que s'afficher trop dans la promotion d'événements comme le Ramadhan ou la culture musulmane risque de provoquer une réticence de la part de leurs clients non musulmans», estime Jean-Christophe Despres, fondateur de l'agence de communication Sopi spécialisée dans le marketing communautaire. «Elles essayent de ménager la chèvre et le chou et faisant une communication orientalisante», selon lui, mais avec le danger «de ne parler à personne». Cela reste compliqué de «développer un réel marketing envers la population musulmane» en France, alors que les campagnes de pub «ciblant certaines catégories de la population sur des critères culturels ou religieux peuvent (...) être mal perçues et assimilées à du communautarisme», selon une étude du cabinet Xerfi publiée en novembre 2009, ce qui peut expliquer la frilosité de certaines enseignes. Pour autant, difficile pour la grande distribution de passer à côté du Ramadhan, pratiqué par environ 70% des 5 à 6 millions de musulmans vivant en France et qui forment la communauté la plus importante d'Europe. Le marché du halal est estimé à 5,5 milliards d'euros en 2010, soit bien plus que celui du bio ou des produits casher également présents dans les supermarchés français, en particulier au moment des fêtes juives. Si la grande distribution ne donne pas de chiffres sur la hausse des ventes en période de Ramadhan, à titre de comparaison, le spécialiste de la charcuterie et des produits surgelés halal «Isla Délice» voit augmenter son chiffre d'affaires de 30%. Auchan lance chaque année une opération spéciale à cette occasion mais «on insiste rarement sur la dimension religieuse de l'offre, comme c'est le cas pour Pâques ou pour les fêtes de fin d'année», fait valoir un porte-parole de l'enseigne. Carrefour «propose une offre adaptée pour le Ramadhan», explique une porte-parole, mais met en avant sa «stricte neutralité politique et religieuse» pour justifier le fait qu'il n'utilise pas le terme «Ramadhan» dans leur catalogue. D'autres enseignes font le choix contraire. Casino, qui possède sa propre marque halal, Wassila, intitule son catalogue publicitaire «Ramadhan», avec un «h» pour mieux respecter la transcription du mot arabe. Et son enseigne discount Leader Price a également un catalogue «Spécial Ramadhan».